Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/478

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que la correspondance des regards et l’harmonie des sourires. Combien de fois n’ai-je pas tenté de faire passer mon âme dans mes yeux ou sur mes lèvres, en me trouvant obligé de taire et de dire tout ensemble la violence de mon amour à une jeune fille qui, près de moi, restait constamment tranquille, et à laquelle le secret de ma présence au logis n’avait pas encore été révélé : car ses parents voulaient lui laisser son libre arbitre dans l’acte le plus important de sa vie. Mais quand on éprouve une passion vraie, la présence de la personne aimée n’assouvit-elle pas nos désirs les plus violents ? quand nous sommes admis devant elle, n’est-ce pas le bonheur du chrétien devant Dieu ? Voir, n’est-ce pas adorer ? Si, pour moi, plus que pour tout autre, ce fut un supplice de ne pas avoir le droit d’exprimer les élans de mon cœur ; si je fus forcé d’y ensevelir ces brûlantes paroles qui trompent de plus brûlantes émotions en les exprimant ; néanmoins cette contrainte, en emprisonnant ma passion, la fit saillir plus vive dans les petites choses, et les moindres accidents contractèrent alors un prix excessif. L’admirer pendant des heures entières, attendre une réponse et savourer long-temps les modulations de sa voix pour y chercher ses plus secrètes pensées ; épier le tremblement de ses doigts quand je lui présentais quelque objet qu’elle avait cherché, imaginer des prétextes pour effleurer sa robe ou ses cheveux, pour lui prendre la main, pour la faire parler plus qu’elle ne le voulait ; tous ces riens étaient de grands événements. Pendant ces sortes d’extases, les yeux, le geste, la voix apportaient à l’âme d’inconnus témoignages d’amour. Tel fut mon langage, le seul que me permît la réserve froidement virginale de cette jeune fille ; car ses manières ne changeaient pas, elle était bien toujours avec moi comme une sœur est avec son frère ; seulement, à mesure que ma passion grandissait, le contraste entre mes paroles et les siennes, entre mes regards et les siens, devenait plus frappant, et je finis par deviner que ce timide silence était le seul moyen qui pût servir à celle jeune fille pour exprimer ses sentiments. N’était-elle pas toujours dans le salon quand j’y venais ? n’y restait-elle pas durant ma visite attendue et pressentie peut-être ! cette fidélité silencieuse n’accusait-elle pas le secret de son âme innocente ? Enfin, n’écoutait-elle pas mes discours avec un plaisir qu’elle ne savait pas cacher ? La naïveté de nos manières et la mélancolie de notre amour finirent sans doute par impatienter les parents, qui, me