Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/505

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moi vingt francs ; tenez, les voici. — Non, ma mignonne, me dit-il, serrez vos vingt francs. Le ciel me préserve de prendre l’argent des pauvres ! Gardez le chien. Si ma femme crie trop, allez-vous-en. Sa femme lui fit une scène pour le chien… ah ! mon Dieu, l’on aurait dit que le feu était à la maison ; et vous ne savez pas ce qu’elle imagina ? Voyant que le chien était à moi d’amitié, qu’elle ne pourrait jamais l’avoir, elle l’a fait empoisonner. Mon pauvre caniche est mort entre mes bras, je l’ai pleuré comme si c’eût été mon enfant, et je l’ai enterré sous un sapin. Vous ne savez pas tout ce que j’ai mis dans cette fosse. Je me suis dit, en m’asseyant là, que je serais donc toujours seule sur la terre, que rien ne me réussirait, que j’allais redevenir comme j’étais auparavant, sans personne au monde, et que je ne verrais pour moi d’amitié dans aucun regard. Je suis restée enfin là toute une nuit, à la belle étoile priant Dieu de m’avoir en pitié. Quand je revins sur la route, je vis un petit pauvre de dix ans qui n’avait pas de mains. Le bon Dieu m’a exaucée, pensais-je. Je ne l’avais jamais prié comme je le fis pendant cette nuit-là. Je vais prendre soin de ce pauvre petit, me dis-je, nous mendierons ensemble et je serai sa mère ; à deux on doit mieux réussir ; j’aurai peut-être plus de courage pour lui que je n’en ai pour moi ! D’abord le petit a paru content, il lui aurait été bien difficile de ne pas l’être, je faisais tout ce qu’il voulait, je lui donnais ce que j’avais de meilleur, enfin j’étais son esclave, il me tyrannisait ; mais ça me semblait toujours mieux que d’être seule. Bah ! aussitôt que le petit ivrogne a su que j’avais vingt francs dans le haut de ma robe, il l’a décousue et m’a volé ma pièce d’or, le prix de mon pauvre caniche ! je voulais faire dire des messes avec. Un enfant sans mains ! ça fait trembler. Ce vol m’a plus découragée de la vie que je ne sais quoi. Je ne pouvais donc rien aimer qui ne me périt entre les mains. Un jour je vois venir une jolie calèche française qui montait la côte des Échelles. Il se trouvait dedans une demoiselle belle comme une vierge Marie, et un jeune homme qui lui ressemblait. — « Vois donc la jolie fille ? » lui dit ce jeune homme en me jetant une pièce d’argent. Vous seul, monsieur Benassis, pouvez savoir le bonheur que me causa ce compliment, le seul que j’aie jamais entendu ; mais le monsieur aurait bien dû ne pas me jeter d’argent. Aussitôt, poussée par mille je ne sais quoi qui m’ont tarabusté la tête, je me suis mise à courir par des sentiers qui coupaient au plus court ; et me voilà dans