Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/508

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fusillé, et les Anglais qui ne sont point des gens honorables, car ils ne se laveront jamais de la honte dont ils se sont couverts jetant sur un rocher un ennemi qui leur demandait l’hospitalité. Dans cette anxiété, je ne sais quel homme de sa suite lui présente le lieutenant Doret, un marin qui venait lui proposer les moyens de passer en Amérique. En effet, il y avait dans le port un brick de l’État et un bâtiment marchand. « — Capitaine ! lui dit l’empereur, comment vous y prendriez-vous donc ? — Sire, répondit l’homme, vous serez sur le vaisseau marchand, je monterai le brick sous pavillon blanc avec des hommes dévoués, nous aborderons l’anglais, nous y mettrons le feu, nous sauterons, vous passerez. — Nous irons avec vous ! » criai-je au capitaine. Napoléon nous regarda tous et dit : « — Capitaine Doret, restez à la France. » C’est la seule fois que j’ai vu Napoléon ému. Puis il nous fit un signe de main et rentra. Je partis quand je l’eus vu abordant le vaisseau anglais. Il était perdu, et il le savait. Il y avait dans le port un traître qui, par des signaux, avertissait les ennemis de la présence de l’empereur. Napoléon a donc essayé un dernier moyen, il a fait ce qu’il faisait sur les champs de bataille, il est allé à eux, au lieu de les laisser venir à lui. Vous parlez de chagrins, rien ne peut vous peindre le désespoir de ceux qui l’ont aimé pour lui.

— Où donc est sa tabatière ? dit la Fosseuse.

— Elle est à Grenoble, dans une boîte, répondit le commandant.

— J’irai la voir, si vous me le permettez. Dire que vous avez une chose où il a mis ses doigts. Il avait une belle main ?

— Très-belle.

— Est-il vrai qu’il soit mort ? demanda-t-elle. Là, dites-moi bien la vérité.

— Oui, certes, il est mort, ma pauvre enfant.

— J’étais si petite en 1815, que je n’ai jamais pu voir que son chapeau, encore ai-je manqué d’être écrasée à Grenoble.

— Voilà de bien bon café à la crème, dit Genestas. Hé ! bien, Adrien, ce pays-ci vous plaira-t-il ? viendrez-vous voir mademoiselle ?

L’enfant ne répondit pas, il paraissait avoir peur de regarder la Fosseuse. Benassis ne cessait d’examiner ce jeune homme, dans l’âme duquel il semblait lire.

— Certes, il viendra la voir, dit Benassis. Mais revenons au logis, il faut que j’aille prendre un de mes chevaux pour faire une