Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/521

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de sa femme. Sauviat atteignait à sa cinquantième année quand il épousa la fille au vieux Champagnac, laquelle, de son côté, ne devait pas avoir moins de trente ans. Ni belle, ni jolie, la Champagnac était née en Auvergne, et le patois fut une séduction mutuelle ; puis, elle avait cette grosse encolure qui permet aux femmes de résister aux plus durs travaux ; aussi accompagna-t-elle Sauviat dans ses courses. Elle rapportait du fer ou du plomb sur son dos, et conduisait le méchant fourgon plein de poteries avec lesquelles son mari faisait une usure déguisée. Brune, colorée, jouissant d’une riche santé, la Champagnac montrait, en riant, des dents blanches, hautes et larges comme des amandes ; enfin elle avait le buste et les hanches de ces femmes que la nature a faites pour être mères. Si cette forte fille ne s’était pas plus tôt mariée, il fallait attribuer son célibat au sans dot d’Harpagon que pratiquait son père, sans avoir jamais lu Molière. Sauviat ne s’effraya point du sans dot ; d’ailleurs un homme de cinquante ans ne devait pas élever de difficultés, puis sa femme allait lui épargner la dépense d’une servante. Il n’ajouta rien au mobilier de sa chambre, où, depuis le jour de ses noces jusqu’au jour de son déménagement, il n’y eut jamais qu’un lit à colonnes, orné d’une pente découpée et de rideaux en serge verte, un bahut, une commode, quatre fauteuils, une table et un miroir, le tout rapporté de différentes localités. Le bahut contenait dans sa partie supérieure une vaisselle en étain dont toutes les pièces étaient dissemblables. Chacun peut imaginer la cuisine d’après la chambre à coucher. Ni le mari, ni la femme ne savaient lire, léger défaut d’éducation qui ne les empêchait pas de compter admirablement et de faire le plus florissant de tous les commerces. Sauviat n’achetait aucun objet sans la certitude de pouvoir le revendre à cent pour cent de bénéfice. Pour se dispenser de tenir des livres et une caisse, il payait et vendait tout au comptant. Il avait d’ailleurs une mémoire si parfaite, qu’un objet, restât-il cinq ans dans sa boutique, sa femme et lui se rappelaient, à un liard près, le prix d’achat, enchéri chaque année des intérêts. Excepté pendant le temps où elle vaquait aux soins du ménage, la Sauviat était toujours assise sur une mauvaise chaise en bois adossée au pilier de sa boutique ; elle tricotait en regardant les passants, veillant à sa ferraille et la vendant, la pesant, la livrant elle-même si Sauviat voyageait pour des acquisitions. À la pointe du jour on entendait le ferrailleur travaillant ses volets, le chien se sauvait par