Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/524

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puis autour du cou une cravate en rouennerie usée par le frottement de la barbe. Les dimanches et jours de fête, Sauviat portait une redingote de drap marron si bien soignée, qu’il ne la renouvela que deux fois en vingt ans.

La vie des forçats peut passer pour luxueuse comparée à celle des Sauviat, ils ne mangeaient de la viande qu’aux jours de fêtes carillonnées. Avant de lâcher l’argent nécessaire à leur subsistance journalière, la Sauviat fouillait dans ses deux poches cachées entre sa robe et son jupon, et n’en ramenait jamais que de mauvaises pièces rognées, des écus de six livres ou de cinquante-cinq sous, qu’elle regardait avec désespoir avant d’en changer une. La plupart du temps, les Sauviat se contentaient de harengs, de pois rouges, de fromage, d’œufs durs mêlés dans une salade, de légumes assaisonnés de la manière la moins coûteuse. Jamais ils ne firent de provisions, excepté quelques bottes d’ail ou d’oignons qui ne craignaient rien et ne coûtaient pas grand’chose ; le peu de bois qu’ils consommaient en hiver, la Sauviat l’achetait aux fagotteurs qui passaient, et au jour le jour. À sept heures en hiver, à neuf heures en été, le ménage était couché, la boutique fermée et gardée par leur énorme chien qui cherchait sa vie dans les cuisines du quartier. La mère Sauviat n’usait pas pour trois francs de chandelle par an.

La vie sobre et travailleuse de ces gens fut animée par une joie mais une joie naturelle, et pour laquelle ils firent leurs seules dépenses connues. En mai 1802, la Sauviat eut une fille. Elle s’accoucha toute seule, et vaquait aux soins de son ménage cinq jours après. Elle nourrit elle-même son enfant sur sa chaise, en plein vent, continuant à vendre la ferraille pendant que sa petite tétait. Son lait ne coûtant rien, elle laissa téter pendant deux ans sa fille qui ne s’en trouva pas mal. Véronique devint le plus bel enfant de la basse-ville, les passants s’arrêtaient pour la voir. Les voisines aperçurent alors chez le vieux Sauviat quelques traces de sensibilité, car on l’en croyait entièrement privé. Pendant que sa femme lui faisait à dîner, le marchand gardait entre ses bras la petite, et la berçait en lui chantonnant des refrains auvergnats. Les ouvriers le virent parfois immobile, regardant Véronique endormie sur les genoux de sa mère. Pour sa fille, il adoucissait sa voix rude, il essuyait ses mains à son pantalon avant de la prendre. Quand Véronique essaya de marcher, le père se pliait sur ses jambes et se met-