Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/550

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pensations de cette séparation qu’elle n’eût jamais demandée : elle ne savait pas être aussi désagréable à Graslin que Graslin était repoussant pour elle. Ce divorce secret la rendit à la fois triste et joyeuse, elle comptait sur la maternité pour donner un intérêt à sa vie ; mais malgré leur résignation mutuelle, les deux époux avaient atteint à l’année 1828 sans avoir d’enfant.

Ainsi, au milieu de sa magnifique maison, et enviée par toute une ville, madame Graslin se trouva dans la solitude où elle était dans le bouge de son père, moins l’espérance, moins les joies enfantines de l’ignorance. Elle y vécut dans les ruines de ses châteaux en Espagne, éclairée par une triste expérience, soutenue par sa foi religieuse, occupée des pauvres de la ville qu’elle combla de bienfaits. Elle faisait des layettes pour les enfants, elle donnait des matelas et des draps à ceux qui couchaient sur la paille ; elle allait partout suivie de sa femme de chambre, une jeune Auvergnate que sa mère lui procura, et qui s’attacha corps et âme à elle ; elle en fit un vertueux espion, chargée de découvrir les endroits où il y avait une souffrance à calmer, une misère à adoucir. Cette bienfaisance active, mêlée au plus strict accomplissement des devoirs religieux, fut ensevelie dans un profond mystère et dirigée d’ailleurs par les curés de la ville, avec qui Véronique s’entendait pour toutes ses bonnes œuvres, afin de ne pas laisser perdre entre les mains du vice l’argent utile à des malheurs immérités.

Pendant cette période, elle conquit une amitié tout aussi vive, tout aussi précieuse que celle du vieux Grossetête, elle devint l’ouaille bien-aimée d’un prêtre supérieur, persécuté pour son mérite incompris, un des Grands-vicaires du diocèse, nommé l’abbé Dutheil. Ce prêtre appartenait à cette minime portion du clergé français qui penche vers quelques concessions, qui voudrait associer l’Église aux intérêts populaires pour lui faire reconquérir, par l’application des vraies doctrines évangéliques, son ancienne influence sur les masses, qu’elle pourrait alors relier à la monarchie. Soit que l’abbé Dutheil eût reconnu l’impossibilité d’éclairer la cour de Rome et le haut clergé, soit qu’il eût sacrifié ses opinions à celles de ses supérieurs, il demeura dans les termes de la plus rigoureuse orthodoxie, tout en sachant que la seule manifestation de ses principes lui fermait le chemin de l’épiscopat. Ce prêtre éminent offrait la réunion d’une grande modestie chrétienne et d’un grand caractère. Sans orgueil ni ambition, il restait à son