Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/554

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manda la femme du Receveur-général. — Je n’ose en convenir devant vous, répliqua-t-il. Je suis alors dans le doute. Madame Graslin possède une beauté qui ne doit vous inspirer aucune jalousie, elle ne se montre jamais au grand jour. Madame Graslin est belle pour ceux qu’elle aime, et vous êtes belle pour tout le monde. Chez madame Graslin, l’âme, une fois mise en mouvement par un enthousiasme vrai, répand sur sa figure une expression qui la change. Sa physionomie est comme un paysage triste en hiver, magnifique en été, le monde la verra toujours en hiver. Quand elle cause avec des amis sur quelque sujet littéraire ou philosophique, sur des questions religieuses qui l’intéressent, elle s’anime, et il apparaît soudain une femme inconnue d’une beauté merveilleuse. » Cette déclaration, fondée sur la remarque du phénomène qui jadis rendait Véronique si belle à son retour de la sainte-table, fit grand bruit dans Limoges, où, pour le moment le nouveau Substitut, à qui la place d’Avocat-général était, dit-on, promise, jouait le premier rôle. Dans toutes les villes de province, un homme élevé de quelques lignes au-dessus des autres devient pour un temps plus ou moins long l’objet d’un engouement qui ressemble à de l’enthousiasme, et qui trompe l’objet de ce culte passager. C’est à ce caprice social que nous devons les génies d’arrondissement, les gens méconnus, et leurs fausses supériorités incessamment chagrinées. Cet homme, que les femmes mettent à la mode, est plus souvent un étranger qu’un homme du pays ; mais à l’égard du vicomte de Grandville, ces admirations, par un cas rare, ne se trompèrent point.

Madame Graslin était la seule avec laquelle le Parisien avait pu échanger ses idées et soutenir une conversation variée. Quelques mois après son arrivée, le Substitut attiré par le charme croissant de la conversation et des manières de Véronique, proposa donc à l’abbé Dutheil, et à quelques hommes remarquables de la ville, de jouer au whist chez madame Graslin. Véronique reçut alors cinq fois par semaine ; car elle voulut se ménager pour sa maison, dit-elle, deux jours de liberté. Quand madame Graslin eut autour d’elle les seuls hommes supérieurs de la ville, quelques autres personnes ne furent pas fâchées de se donner un brevet d’esprit en faisant partie de sa société. Véronique admit chez elle les trois ou quatre militaires remarquables de la garnison et de l’état-major. La liberté d’esprit dont jouissaient ses hôtes, la