Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/564

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déterminait l’heure à laquelle le crime avait été commis. Dans l’effroi que les cris de son maître durent lui causer, Jeanne Malassis, en se levant, avait renversé la table de nuit sur laquelle était sa montre. Cette montre, le seul cadeau que lui eût fait l’avare en cinq ans, avait eu son grand ressort brisé par le choc, elle indiquait deux heures après minuit. Vers la mi-mars, époque du crime, le jour arrive entre cinq et six heures du matin. À quelque distance que les sommes eussent été transportées, Tascheron n’avait donc pu, dans le cercle des hypothèses embrassé par l’Instruction et le Parquet, opérer à lui seul cet enlèvement. Le soin avec lequel Tascheron avait ratissé les traces des pas en négligeant celles des siens révélait une mystérieuse assistance. Forcée d’inventer, la Justice attribua ce crime à une frénésie d’amour ; et l’objet de cette passion ne se trouvant pas dans la classe inférieure, elle jeta les yeux plus haut. Peut-être une bourgeoise, sûre de la discrétion d’un jeune homme taillé en Séïde, avait-elle commencé un roman dont le dénoûment était horrible ? Cette présomption était presque justifiée par les accidents du meurtre. Le vieillard avait été tué à coups de bêche. Ainsi son assassinat était le résultat d’une fatalité soudaine, imprévue, fortuite. Les deux amants avaient pu s’entendre pour voler, et non pour assassiner. L’amoureux Tascheron et l’avare Pingret, deux passions implacables s’étaient rencontrées sur le même terrain, attirées toutes deux par l’or dans les ténèbres épaisses de la nuit. Afin d’obtenir quelque lueur sur cette sombre donnée, la Justice employa contre une sœur très-aimée de Jean-François la ressource de l’arrestation et de la mise au secret, espérant pénétrer par elle les mystères de la vie privée du frère. Denise Tascheron se renferma dans un système de dénégation dicté par la prudence, et qui la fit soupçonner d’être instruite des causes du crime, quoiqu’elle ne sût rien. Cette détention allait flétrir sa vie. Le prévenu montrait un caractère bien rare chez les gens du peuple : il avait dérouté les plus habiles moutons avec lesquels il s’était trouvé, sans avoir reconnu leur caractère. Pour les esprits distingués de la magistrature, Jean-François était donc criminel par passion et non par nécessité, comme la plupart des assassins ordinaires qui passent tous par la police correctionnelle et par le bagne avant d’en venir à leur dernier coup. D’actives et prudentes recherches, se firent dans le sens de cette idée ; mais l’invariable discrétion du criminel laissa l’instruction sans éléments. Une fois