Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/593

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sociales où le cœur saigne à la vue des maux qui les encombrent ; sa mission était celle du haut clergé qui maintient l’esprit de sacrifice, représente l’intelligence élevée de l’Église, et dans les occasions d’éclat déploie ces mêmes vertus sur de plus grands théâtres, comme les illustres évêques de Marseille et de Meaux, comme les archevêques d’Arles et de Cambrai. Cette petite assemblée de gens de la campagne pleurant et priant pour celui qu’ils supposaient supplicié dans une grande place publique, devant des milliers de gens venus de toutes parts pour agrandir encore le supplice par une honte immense ; ce faible contre-poids de sympathies et de prières, opposé à cette multitude de curiosités féroces et de justes malédictions, était de nature à émouvoir, surtout dans cette pauvre église. L’abbé Gabriel fut tenté d’aller dire aux Tascheron : Votre fils, votre frère a obtenu un sursis. Mais il eut peur de troubler la messe, il savait d’ailleurs que ce sursis n’empêcherait pas l’exécution. Au lieu de suivre l’office, il fut irrésistiblement entraîné à observer le pasteur de qui l’on attendait le miracle de la conversion du criminel.

Sur l’échantillon du presbytère, Gabriel de Rastignac s’était fait un portrait imaginaire de monsieur Bonnet : un homme gros et court, à figure forte et rouge, un rude travailleur à demi paysan, hâlé par le soleil. Loin de là, l’abbé rencontra son égal. De petite taille et débile en apparence, monsieur Bonnet frappait tout d’abord par le visage passionné qu’on suppose à l’apôtre : une figure presque triangulaire commencée par un large front sillonné de plis, achevée des tempes à la pointe du menton par les deux lignes maigres que dessinaient ses joues creuses. Dans cette figure endolorie par un teint jaune comme la cire d’un cierge, éclataient deux yeux d’un bleu lumineux de foi, brûlant d’espérance vive. Elle était également partagée par un nez long, mince et droit, à narines bien coupées, sous lequel parlait toujours, même fermée, une bouche large à lèvres prononcées, et d’où il sortait une de ces voix qui vont au cœur. La chevelure châtaine, rare, fine et lisse sur la tête, annonçait un tempérament pauvre, soutenu seulement par un régime sobre. La volonté faisait toute la force de cet homme. Telles étaient ses distinctions. Ses mains courtes eussent indiqué chez tout autre une pente vers de grossiers plaisirs, et peut-être avait-il, comme Socrate, vaincu ses mauvais penchants. Sa maigreur était disgracieuse. Ses épaules se voyaient trop. Ses