Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/627

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— Laissez-moi me remettre de mon abattement, lui dit-elle.

— Votre abattement provient de méditations funestes, reprit-il vivement.

— Oui, dit-elle avec la naïveté de la douleur arrivée au point où l’on ne garde plus de ménagements.

— Je le vois, vous êtes tombée dans l’abîme de l’indifférence, s’écria-t-il. S’il est un degré de souffrance physique où la pudeur expire, il est aussi un degré de souffrance morale où l’énergie de l’âme disparaît, je le sais.

Elle fut étonnée de trouver ces subtiles observations et cette pitié tendre chez monsieur Bonnet ; mais, comme on l’a vu déjà, l’exquise délicatesse qu’aucune passion n’avait altérée chez cet homme lui donnait pour les douleurs de ses ouailles le sens maternel de la femme. Ce mens divinior, cette tendresse apostolique, met le prêtre au-dessus des autres hommes, et en fait un être divin. Madame Graslin n’avait pas encore assez pratiqué monsieur Bonnet pour avoir pu reconnaître cette beauté cachée dans l’âme comme une source, et d’où procèdent la grâce, la fraîcheur, la vraie vie.

— Ah ! monsieur ? s’écria-t-elle en se livrant et lui par un geste et par un regard comme en ont les mourants.

— Je vous entends ! reprit-il. Que faire ? que devenir ?

Ils marchèrent en silence le long de la balustrade en allant vers la plaine. Ce moment solennel parut propice à ce porteur de bonnes nouvelles, à cet homme de l’Évangile.

— Supposez-vous devant Dieu, dit-il à voix basse et mystérieusement, que lui diriez-vous ?…

Madame Graslin resta comme frappée par la foudre et frissonna légèrement. — Je lui dirais comme Jésus-Christ : " Mon père, vous m’avez abandonnée et j’ai succombé ! " répondit-elle simplement et d’un accent qui fit venir des larmes aux yeux du curé.

— Ô Madeleine ! voilà le mot que j’attendais, s’écria monsieur Bonnet, qui ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Vous voyez, vous recourez à la justice de Dieu, vous l’invoquez ! Écoutez-moi, madame. La religion est, par anticipation, la justice divine. L’Église s’est réservé le jugement de tous les procès de l’âme. La justice humaine est une faible image de la justice céleste, elle n’en est qu’une pâle imitation appliquée aux besoins de la société.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous n’êtes pas juge dans votre propre cause, vous relevez de