Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/630

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé la masse du château, ils purent voir par-dessus la cour, les écuries et les communs, la forêt de Montégnac sur laquelle cette lueur glissait comme une caresse. Quoique ce dernier éclat du soleil couchant n’atteignît que les cimes, il permettait encore de voir parfaitement, depuis la colline où se trouve Montégnac jusqu’au premier pic de la chaîne des monts Corréziens, les caprices de la magnifique tapisserie que fait une forêt en automne. Les chênes formaient des masses de bronze florentin ; les noyers, les châtaigniers offraient leurs tons de vert-de-gris ; les arbres hâtifs brillaient par leur feuillage d’or, et toutes ces couleurs étaient nuancées par des places grises incultes. Les troncs des arbres entièrement dépouillés de feuilles montraient leurs colonnades blanchâtres. Ces couleurs rousses, fauves, grises, artistement fondues par les reflets pâles du soleil d’octobre, s’harmoniaient à cette plaine infertile, à cette immense jachère, verdâtre comme une eau stagnante. Une pensée du prêtre allait commenter ce beau spectacle, muet d’ailleurs : pas un arbre, pas un oiseau, la mort dans la plaine, le silence dans la forêt ; çà et là, quelques fumées dans les chaumières du village. Le château semblait sombre comme sa maîtresse. Par une loi singulière, tout imite dans une maison celui qui y règne, son esprit y plane. Madame Graslin, frappée à l’entendement par les paroles du curé, et frappée au cœur par la conviction, atteinte dans sa tendresse par le timbre angélique de cette voix, s’arrêta tout à coup. Le curé leva le bras et montra la forêt, Véronique la regarda.

— Ne trouvez-vous pas à ceci quelque ressemblance vague avec la vie sociale ? À chacun sa destinée ! Combien d’inégalités dans cette masse d’arbres ! Les plus haut perchés manquent de terre végétale et d’eau, ils meurent les premiers !…

— Il en est que la serpe de la femme qui fait du bois arrête dans la grâce de leur jeunesse ! dit-elle avec amertume.

— Ne retombez plus dans ces sentiments, reprit le curé sévèrement quoiqu’avec indulgence. Le malheur de cette forêt est de n’avoir pas été coupée, voyez-vous le phénomène que ses masses présentent ?

Véronique, pour qui les singularités de la nature forestière étaient peu sensibles, arrêta par obéissance son regard sur la forêt et le reporta doucement sur le curé.

— Vous ne remarquez pas, dit-il en devinant dans ce regard