Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/639

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Farrabesche donc, quoiqu’il soit brave, se mit dans la tête de ne pas partir. Au fait, l’armée n’était pas saine pour cette famille-là. Quand le sous-préfet l’a demandé en 1811, il s’est enfui dans les bois ; réfractaire quoi, comme on les appelait. Pour lors, il s’est joint à un parti de chauffeurs, de gré ou de force ; mais enfin il a chauffé ! Vous comprenez que personne autre que monsieur le curé ne sait ce qu’il a fait avec ces mâtins-là, parlant par respect ! Il s’est souvent battu avec les gendarmes et avec la ligne aussi ! Enfin, il s’est trouvé dans sept rencontres…

— Il passe pour avoir tué deux soldats et trois gendarmes ! dit Champion.

— Est-ce qu’on sait le compte ? il ne l’a pas dit, reprit Colorat. Enfin, madame, presque tous les autres ont été pris ; mais lui, dame ! jeune et agile, connaissant mieux le pays, il a toujours échappé. Ces chauffeurs-là se tenaient aux environs de Brives et de Tulle ; ils rabattaient souvent par ici, à cause de la facilité que Farrabesche avait de les cacher. En 1814, on ne s’est plus occupé de lui, la conscription était abolie ; mais il a été forcé de passer l’année de 1815 dans les bois. Comme il n’avait pas ses aises pour vivre, il a encore aidé à arrêter la malle, dans la gorge, là-bas ; mais enfin, d’après l’avis de monsieur le curé, il s’est livré. Il n’a pas été facile de lui trouver des témoins, personne n’osait déposer contre lui. Pour lors, son avocat et monsieur le curé ont tant fait, qu’il en a été quitte pour dix ans. Il a eu du bonheur, après avoir chauffé, car il a chauffé !

— Mais qu’est-ce que c’était que de chauffer ?

— Si vous le voulez, madame, je vas vous dire comment ils faisaient, autant que je le sais par les uns et les autres, car, vous comprenez, je n’ai point chauffé ! Ca n’est pas beau, mais la nécessité ne connaît point de loi. Donc, ils tombaient sept ou huit chez un fermier ou chez un propriétaire soupçonné d’avoir de l’argent ; ils vous allumaient du feu, soupaient au milieu de la nuit ; puis, entre la poire et le fromage, si le maître de la maison ne voulait pas leur donner la somme demandée, ils lui attachaient les pieds à la crémaillère, et ne les détachaient qu’après avoir reçu leur argent : voilà. Ils venaient masqués. Dans le nombre de leurs expéditions, il y en a eu de malheureuses. Dame ! il y a toujours des obstinés, des gens avares. Un fermier, le père Cochegrue, qui aurait bien tondu sur un œuf, s’est laissé brûler les pieds ! Ah ! ben,