Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/647

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La beauté de cette vue, sur laquelle les yeux de madame Graslin erraient machinalement, la rappela bientôt à elle-même, elle revint vers la maison où le père et le fils restaient debout et silencieux, sans chercher à s’expliquer la singulière absence de leur maîtresse. Elle examina la maison qui, bâtie avec plus de soin que la couverture en chaume ne le faisait supposer, avait été sans doute abandonnée depuis le temps où les Navarreins ne s’étaient plus souciés de ce domaine. Plus de chasses, plus de gardes. Quoique cette maison fût inhabitée depuis plus de cent ans, les murs étaient bons ; mais de tous côtés le lierre et les plantes grimpantes les avaient embrassés. Quand on lui eut permis d’y rester, Farrabesche avait fait couvrir le toit en chaume, il avait dallé lui-même à l’intérieur la salle, et y avait apporté tout le mobilier. Véronique, en entrant, aperçut deux lits de paysan, une grande armoire en noyer, une huche au pain, un buffet, une table, trois chaises, et sur les planches du buffet quelques plats en terre brune, enfin les ustensiles nécessaires à la vie. Au-dessus de la cheminée étaient deux fusils et deux carniers. Une quantité de choses faites par le père pour l’enfant causa le plus profond attendrissement à Véronique : un vaisseau armé, une chaloupe, une tasse en bois sculpté, une boîte en bois d’un magnifique travail, un coffret en marqueterie de paille, un crucifix et un chapelet superbes. Le chapelet était en noyaux de prunes, qui avaient sur chaque face une tête d’une admirable finesse : Jésus-Christ, les apôtres, la Madone, saint Jean-Baptiste, saint Joseph, sainte Anne, les deux Madeleines.

— Je fais cela pour amuser le petit dans les longs soirs d’hiver, dit-il en ayant l’air de s’excuser.

Le devant de la maison est planté en jasmins, en rosiers à haute tige appliqués contre le mur, et qui fleurissent les fenêtres du premier étage inhabité, mais où Farrabesche serrait ses provisions ; il avait des poules, des canards, deux porcs ; il n’achetait que du pain, du sel, du sucre et quelques épiceries. Ni lui ni son fils ne buvaient de vin.

— Tout ce que l’on m’a dit de vous et ce que je vois, dit enfin madame Graslin à Farrabesche, me fait vous porter un intérêt qui ne sera pas stérile.

— Je reconnais bien là monsieur Bonnet, s’écria Farrabesche d’un ton touchant.