dant lesquelles je m’étais seulement préparé à bien faire. Aussi, quel ne fut pas mon orgueil d’avoir conquis le droit de choisir celle des carrières qui me plairait le plus, du Génie militaire ou maritime, de l’Artillerie ou de l’État-major, des Mines ou des Ponts-et-chaussées. Par votre conseil, j’ai choisi les Ponts-et-chaussées. Mais, là où j’ai triomphé, combien de jeunes gens succombent ! Savez-vous que, d’année en année, l’État augmente ses exigences scientifiques à l’égard de l’École, les études y deviennent plus fortes, plus âpres, de période en période ? Les travaux préparatoires auxquels je me suis livré n’étaient rien comparés aux ardentes études de l’École, qui ont pour objet de mettre la totalité des sciences physiques, mathématiques, astronomiques, chimiques, avec leurs nomenclatures, dans la tête de jeunes gens de dix-neuf à vingt et un ans. L’État, qui en France semble, en bien des choses, vouloir se substituer au pouvoir paternel, est sans entrailles ni paternité ; il fait ses expériences in anima vili. Jamais il n’a demandé l’horrible statistique des souffrances qu’il a causées ; il ne s’est pas enquis depuis trente-six ans du nombre de fièvres cérébrales qui se déclarent, ni des désespoirs qui éclatent au milieu de cette jeunesse, ni des destructions morales qui la déciment. Je vous signale ce côté douloureux de la question, car il est un des contingents antérieurs du résultat définitif : pour quelques têtes faibles, le résultat est proche au lieu d’être retardé. Vous savez aussi que les sujets chez lesquels la conception est lente, ou qui sont momentanément annulés par l’excès du travail, peuvent rester trois ans au lieu de deux à l’École, et que ceux-là sont l’objet d’une suspicion peu favorable à leur capacité. Enfin, il y a chance pour des jeunes gens, qui plus tard peuvent se montrer supérieurs, de sortir de l’École sans être employés, faute de présenter aux examens définitifs la somme de science demandée. On les appelle des fruits secs, et Napoléon en faisait des sous-lieutenants ! Aujourd’hui le fruit sec constitue en capital une perte énorme pour les familles, et un temps perdu pour l’individu. Mais enfin, moi j’ai triomphé ! À vingt et un ans, je possédais les sciences mathématiques au point où les ont amenées tant d’hommes de génie, et j’étais impatient de me distinguer en les continuant. Ce désir est si naturel, que presque tous les Élèves, en sortant, ont les yeux fixés sur ce soleil moral nommé la Gloire ! Notre pre-
Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/667
Apparence