Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/671

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états d’approvisionnement. Je n’ai pas à m’occuper deux heures par jour. Je vois mes collègues se marier, tomber dans une situation contraire à l’esprit de la société moderne. Mon ambition est-elle donc démesurée ? je voudrais être utile à mon pays. Le pays m’a demandé des forces extrêmes, il m’a dit de devenir un des représentants de toutes les sciences, et je me croise les bras au fond d’une province ? Il ne me permet pas de sortir de la localité dans laquelle je suis parqué pour exercer mes facultés en essayant des projets utiles. Une défaveur occulte et réelle est la récompense assurée à celui de nous qui, cédant à ses inspirations, dépasse ce que son service spécial exige de lui. Dans ce cas, la faveur que doit espérer un homme supérieur est l’oubli de son talent, de son outrecuidance, et l’enterrement de son projet dans les cartons de la direction. Quelle sera la récompense de Vicat, celui d’entre nous qui a fait faire le seul progrès réel à la science pratique des constructions ? Le Conseil général des Ponts-et-chaussées, composé en partie de gens usés par de longs et quelquefois honorables services, mais qui n’ont plus de force que pour la négation, et qui rayent ce qu’ils ne comprennent plus, est l’étouffoir dont on se sert pour anéantir les projets des esprits audacieux. Ce Conseil semble avoir été créé pour paralyser les bras de cette belle jeunesse qui ne demande qu’à travailler, qui veut servir la France ! Il se passe à Paris des monstruosités : l’avenir d’une province dépend du visa de ces centralisateurs qui, par des intrigues que je n’ai pas le loisir de vous détailler, arrêtent l’exécution des meilleurs plans ; les meilleurs sont en effet ceux qui offrent le plus de prise à l’avidité des compagnies ou des spéculateurs, qui choquent ou renversent le plus d’abus, et l’Abus est constamment plus fort en France que l’Amélioration.

« Encore cinq ans, je ne serai donc plus moi-même, je verrai s’éteindre mon ambition, mon noble désir d’employer les facultés que mon pays m’a demandé de déployer, et qui se rouilleront dans le coin obscur où je vis. En calculant les chances les plus heureuses, l’avenir me semble être peu de chose. J’ai profité d’un congé pour venir à Paris, je veux changer de carrière, chercher l’occasion d’employer mon énergie, mes connaissances et mon activité. Je donnerai ma démission, j’irai dans les pays où les hommes spéciaux de ma classe manquent et peuvent accomplir de grandes choses. Si rien de tout cela n’est possible, je me