Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/678

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chaîne de collines sur laquelle est sa forêt, a le dessein de tirer parti de cet immense domaine, d’exploiter ses bois et de cultiver ses plaines caillouteuses. Pour mettre ce projet à exécution, elle a besoin d’un homme de votre science et de votre ardeur, qui ait à la fois votre dévouement désintéressé et vos idées d’utilité pratique. Peu d’argent et beaucoup de travaux à faire ! un résultat immense par de petits moyens ! un pays à changer en entier ! Faire jaillir l’abondance du milieu le plus dénué, n’est-ce pas ce que vous souhaitez, vous qui voulez construire un poëme ? D’après le ton de sincérité qui règne dans votre lettre, je n’hésite pas à vous dire de venir me voir à Limoges ; mais, mon ami, ne donnez pas votre démission, faites-vous seulement détacher de votre corps en expliquant à votre Administration que vous allez étudier des questions de votre ressort, en dehors des travaux de l’État. Ainsi vous ne perdrez rien de vos droits, et vous aurez le temps de juger si l’entreprise conçue par le curé de Montégnac, et qui sourit à madame Graslin, est exécutable. Je vous expliquerai de vive voix les avantages que vous pourrez trouver, le cas où ces vastes changements seraient possibles. Comptez toujours sur l’amitié de votre tout dévoué,

« Grossetête. »

Madame Graslin ne répondit pas autre chose à Grossetête que ce peu de mots : « Merci, mon ami, j’attends vote protégé. » Elle montra la lettre de l’ingénieur à monsieur Bonnet, en lui disant : — Encore un blessé qui cherche le grand hôpital.

Le curé lut la lettre, il la relut, fit deux ou trois tours de terrasse en silence, et la rendit en disant à madame Graslin : — C’est d’une belle âme et d’un homme supérieur ! Il dit que les Écoles inventées par le génie révolutionnaire fabriquent des incapacités, moi je les appelle des fabriques d’incrédules, car si monsieur Gérard n’est pas un athée, il est protestant…

— Nous le demanderons, dit-elle frappée de cette réponse.

Quinze jours après, dans le mois de décembre, malgré le froid, monsieur Grossetête vint au château de Montégnac pour y présenter son protégé que Véronique et monsieur Bonnet attendaient impatiemment.

— Il faut vous bien aimer, mon enfant, dit le vieillard en prenant les deux mains de Véronique dans les siennes et les lui baisant