Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/68

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général dans sa manche, dit en riant Corentin qui essayait de mettre son cheval au galop pour rejoindre la voiture.

— Ah ! je ne me laisserai pas embêter par ces paroissiens-là, dit Hulot à ses deux amis en grognant. J’aimerais mieux jeter l’habit de général dans un fossé que de le gagner dans un lit. Que veulent-ils donc, ces canards-là ? Y comprenez-vous quelque chose, vous autres ?

— Oh ! oui, dit Merle, je sais que c’est la femme la plus belle que j’aie jamais vue ! je crois que vous entendez mal la métaphore. C’est la femme du premier consul, peut-être ?

— Bah ! la femme du premier consul est vieille, et celle-ci est jeune, reprit Hulot. D’ailleurs, l’ordre que j’ai reçu du ministre m’apprend qu’elle se nomme mademoiselle de Verneuil. C’est une ci-devant. Est-ce que je ne connais pas ça ! Avant la révolution, elles faisaient toutes ce métier-là ; on devenait alors, en deux temps et six mouvements, chef de demi-brigade, il ne s’agissait que de leur bien dire deux ou trois fois : Mon cœur !

Pendant que chaque soldat ouvrait le compas, pour employer l’expression du commandant, la voiture horrible qui servait alors de malle avait promptement atteint l’hôtel des Trois-Maures, situé au milieu de la grande rue d’Alençon. Le bruit de ferraille que rendait cette informe voiture amena l’hôte sur le pas de la porte. C’était un hasard auquel personne dans Alençon ne devait s’attendre que la descente de la malle à l’auberge des Trois-Maures ; mais l’affreux événement de Mortagne la fit suivre par tant de monde, que les deux voyageuses, pour se dérober à la curiosité générale, entrèrent lestement dans la cuisine, inévitable antichambre des auberges dans tout l’Ouest ; et l’hôte se disposait à les suivre après avoir examiné la voiture, lorsque le postillon l’arrêta par le bras.

— Attention, citoyen Brutus, dit-il, il y a escorte de Bleus. Comme il n’y a ni conducteur ni dépêches, c’est moi qui t’amène les citoyennes, elles paieront sans doute comme de ci-devant princesses, ainsi…

— Ainsi, nous boirons un verre de vin ensemble tout à l’heure, mon garçon, lui dit l’hôte.

Après avoir jeté un coup d’œil sur cette cuisine noircie par la fumée et sur une table ensanglantée par des viandes crues, mademoiselle de Verneuil se sauva dans la salle voisine avec la légèreté d’un