Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/682

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Le maire, vieux campagnard ébahi par le luxe de cette salle à manger, et surpris de dîner avec l’un des hommes les plus riches du Département, avait mis ses meilleurs habits, mais il s’y trouvait un peu gêné, et sa gêne morale s’en augmenta ; madame Graslin, dans son costume de deuil, lui parut d’ailleurs extrêmement imposante ; il fut donc un personnage muet. Ancien fermier à Saint-Léonard, il avait acheté la seule maison habitable du bourg, et cultivait lui-même les terres qui en dépendaient, Quoiqu’il sût lire et écrire, il ne pouvait remplir ses fonctions qu’avec le secours de l’huissier de la justice de paix qui lui préparait sa besogne. Aussi désirait-il vivement la création d’une charge de notaire, pour se débarrasser sur cet officier ministériel du fardeau de ses fonctions. Mais la pauvreté du canton de Montégnac y rendait une Étude à peu près inutile, et les habitants étaient exploités par les notaires du chef-lieu d’arrondissement.

Le juge de paix, nommé Clousier, était un ancien avocat de Limoges où les causes l’avaient fui, car il voulut mettre en pratique ce bel axiome, que l’avocat est le premier juge du client et du procès. Il obtint vers 1809 cette place, dont les maigres appointements lui permirent de vivre. Il était alors arrivé à la plus honorable, mais à la plus complète misère. Après vingt-deux ans d’habitation dans cette pauvre Commune, le bonhomme, devenu campagnard, ressemblait, à sa redingote près, aux fermiers du pays. Sous cette forme quasi grossière, Clousier cachait un esprit clairvoyant, livré à de hautes méditations politiques, mais tombé dans une entière insouciance due à sa parfaite connaissance des hommes et de leurs intérêts. Cet homme, qui pendant longtemps trompa la perspicacité de monsieur Bonnet, et qui, dans la sphère supérieure, eût rappelé Lhospital, incapable d’aucune intrigue comme tous les gens réellement profonds, avait fini par vivre à l’état contemplatif des anciens solitaires. Riche sans doute de toutes ses privations, aucune considération n’agissait sur son esprit, il savait les lois et jugeait impartialement. Sa vie, réduite au simple nécessaire, était pure et régulière. Les paysans aimaient monsieur Clousier et l’estimaient à cause du désintéressement paternel avec lequel il accordait leurs différends et leur donnait ses conseils dans leurs moindres affaires. Le bonhomme Clousier, comme disait tout Montégnac, avait depuis deux ans pour greffier un de ses neveux, jeune homme assez intelligent,