Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/703

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pêtre. Les fermes de la plaine élevaient de gros bétail et des chevaux, car on avait généralement trouvé, par le nettoyage du terrain, sept pouces de terre végétale que la dépouille annuelle des arbres, les engrais apportés par le pacage des bestiaux, et surtout l’eau de neige contenue dans le bassin du Gabou, devaient enrichir constamment. Cette année, madame Graslin jugea nécessaire de donner un précepteur à son fils, qui avait onze ans : elle ne voulait pas s’en séparer, et voulait néanmoins en faire un homme instruit. Monsieur Bonnet écrivit au séminaire. Madame Graslin, de son côté, dit quelques mots de son désir et de ses embarras à monseigneur Dutheil, nommé récemment archevêque. Ce fut une grande et sérieuse affaire que le choix d’un homme qui devait vivre pendant au moins neuf ans au château. Gérard s’était déjà offert à montrer les mathématiques à son ami Francis ; mais il était impossible de remplacer un précepteur, et ce choix à faire épouvantait d’autant plus madame Graslin, qu’elle sentait chanceler sa santé. Plus les prospérités de son cher Montégnac croissaient, plus elle redoublait les austérités secrètes de sa vie. Monseigneur Dutheil, avec qui elle correspondait toujours, lui trouva l’homme qu’elle souhaitait. Il envoya de son diocèse un jeune professeur de vingt-cinq ans, nommé Ruffin, un esprit qui avait pour vocation l’enseignement particulier ; ses connaissances étaient vastes ; il avait une âme d’une excessive sensibilité qui n’excluait pas la sévérité nécessaire à qui veut conduire un enfant ; chez lui, la piété ne nuisait en rien à la science ; enfin il était patient et d’un extérieur agréable. « C’est un vrai cadeau que je vous fais, ma chère fille, écrivit le prélat ; ce jeune homme est digne de faire l’éducation d’un prince ; aussi compté-je que vous saurez lui assurer un sort, car il sera le père spirituel de votre fils. »

Monsieur Ruffin plut si fort aux fidèles amis de madame Graslin, que son arrivée ne dérangea rien aux différentes intimités qui se groupaient autour de cette idole dont les heures et les moments étaient pris par chacun avec une sorte de jalousie.

L’année 1843 vit la prospérité de Montégnac s’accroître au delà de toutes les espérances. La ferme du Gabou rivalisait avec les fermes de la plaine, et celle du château donnait l’exemple de toutes les améliorations. Les cinq autres fermes, dont le loyer progressif devait atteindre la somme de trente mille francs pour chacune à la douzième année du bail, donnaient alors en tout soixante mille