Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/706

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et roses, des acacias, des bouleaux, tous sujets d’élite, disposés tous comme le voulait et le terrain et leur physionomie, retenaient dans leurs feuillages quelques vapeurs nées sur les eaux et qui ressemblaient à de légères fumées. La nappe d’eau, claire comme un miroir et calme comme le ciel, réfléchissait les hautes masses vertes de la forêt, dont les cimes nettement dessinées dans la limpide atmosphère, contrastaient avec les bocages d’en bas, enveloppés de leurs jolis voiles. Les lacs, séparés par de fortes chaussées, montraient trois miroirs à reflets différents, dont les eaux s’écoulaient de l’un dans l’autre par de mélodieuses cascades. Ces chaussées formaient des chemins pour aller d’un bord à l’autre sans avoir à tourner la vallée. On apercevait du chalet, par une échappée, le steppe ingrat des communaux crayeux et infertiles qui, vu du dernier balcon, ressemblait à la pleine mer, et qui contrastait avec la fraîche nature du lac et de ses bords. Quand Véronique vit la joie de ses amis qui lui tendaient la main pour la faire monter dans la plus grande des embarcations, elle eut des larmes dans les yeux, et laissa nager en silence jusqu’au moment où elle aborda la première chaussée. En y montant pour s’embarquer sur la seconde flotte, elle aperçut alors la Chartreuse et Grossetête assis sur un banc avec toute sa famille.

— Ils veulent donc me faire regretter la vie ? dit-elle au curé.

— Nous voulons vous empêcher de mourir, répondit Clousier.

— On ne rend pas la vie aux morts, répliqua-t-elle.

— Monsieur Bonnet jeta sur sa pénitente un regard sévère qui la fit rentrer en elle-même.

— Laissez-moi seulement prendre soin de votre santé, lui demanda Roubaud d’une voix douce et suppliante, je suis certain de conserver à ce canton sa gloire vivante, et à tous nos amis le lien de leur vie commune.

Véronique baissa la tête et Gérard nagea lentement vers l’île, au milieu de ce lac, le plus large des trois et où le bruit des eaux du premier, alors trop plein, retentissait au loin en donnant une voix à ce délicieux paysage.

— Vous avez bien raison de me faire faire mes adieux à cette ravissante création, dit-elle en voyant la beauté des arbres tous si feuillus qu’ils cachaient les deux rives.

La seule désapprobation que ses amis se permirent fut un morne silence, et Véronique, sur un nouveau regard de monsieur