Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/729

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devinant, à l’attitude des deux prêtres, qu’il s’agissait de la plaie du cœur qui avait déterminé celle du corps. Il prit la main de Véronique, la posa sur le lit et lui tâta le pouls. Ce fut une scène que le silence le plus profond, celui d’une nuit d’été dans la campagne rendit solennelle. Le grand salon, dont la porte à deux battants restait ouverte, était illuminé pour éclairer la petite assemblée des gens qui priaient, tous à genoux, moins les deux prêtres assis et lisant leur bréviaire. De chaque côté de ce magnifique lit de parade, étaient le prélat dans son costume violet, le curé, puis les deux hommes de la Science.

— Elle est agitée jusque dans la mort ! dit Horace Bianchon qui semblable à tous les hommes d’un immense talent, avait la parole souvent aussi grande que l’étaient les choses auxquelles il assistait.

L’archevêque se leva, comme poussé par un élan intérieur ; il appela monsieur Bonnet en se dirigeant vers la porte, ils traversèrent la chambre, le salon, et sortirent sur la terrasse, où ils se promenèrent pendant quelques instants. Au moment où ils revinrent après avoir discuté ce cas de discipline ecclésiastique, Roubaud venait à leur rencontre.

— Monsieur Bianchon m’envoie vous dire de vous presser, madame Graslin se meurt dans une agitation étrangère aux douleurs excessives de la maladie.

L’archevêque hâta le pas et dit en entrant à madame Graslin, qui le regardait avec anxiété : — Vous serez satisfaite !

Bianchon tenait toujours le pouls de la malade, il laissa échapper un mouvement de surprise, et jeta un coup d’œil sur Roubaud et sur les deux prêtres.

— Monseigneur, ce corps n’est plus de notre domaine, votre parole a mis la vie là où il y avait la mort. Vous feriez croire à un miracle.

— Il y a longtemps que madame est tout âme ! dit Roubaud que Véronique remercia par un regard.

En ce moment un sourire où se peignait le bonheur que lui causait la pensée d’une expiation complète rendit à sa figure l’air d’innocence qu’elle eut à dix-huit ans. Toutes les agitations inscrites en rides effrayantes, les couleurs sombres, les marques livides, tous les détails qui rendaient cette tête si horriblement belle naguère, quand elle exprimait seulement la douleur, enfin les altérations de tout genre disparurent ; il semblait à tous que jusqu’alors