Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/74

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ment Corentin à l’hôte en en épiant le visage, qu’on espère relever la marine de la République ?

— Cet homme-là, disait le jeune marin à l’oreille de l’hôtesse, est quelque espion de Fouché. Il a la police gravée sur la figure, et je jurerais que la tache qu’il conserve au menton est de la boue de Paris. Mais à bon chat, bon…

En ce moment une dame, vers laquelle le marin s’élança avec tous les signes d’un respect extérieur, entra dans la cuisine de l’auberge.

— Ma chère maman, lui dit-il, arrivez donc. Je crois avoir, en votre absence, recruté des convives.

— Des convives, lui répondit-elle, quelle folie !

— C’est mademoiselle de Verneuil, reprit-il à voix basse.

— Elle a péri sur l’échafaud après l’affaire de Savenay, elle était venue au Mans pour sauver son frère le prince de Loudon, lui dit brusquement sa mère.

— Vous vous trompez, madame, reprit avec douceur Corentin en appuyant sur le mot madame, il y a deux demoiselles de Verneuil, les grandes maisons ont toujours plusieurs branches.

— L’étrangère, surprise de cette familiarité, se recula de quelques pas comme pour examiner cet interlocuteur inattendu ; elle arrêta sur lui ses yeux noirs pleins de cette vive sagacité si naturelle aux femmes, et parut chercher dans quel intérêt il venait affirmer l’existence de mademoiselle de Verneuil. En même temps Corentin, qui étudiait cette dame à la dérobée, la destitua de tous les plaisirs de la maternité pour lui accorder ceux de l’amour ; il refusa galamment le bonheur d’avoir un fils de vingt ans à une femme dont la peau éblouissante, les sourcils arqués, encore bien fournis, les cils peu dégarnis furent l’objet de son admiration, et dont les abondants cheveux noirs séparés en deux bandeaux sur le front, faisaient ressortir la jeunesse d’une tête spirituelle. Les faibles rides du front, loin d’annoncer les années, trahissaient des passions jeunes. Enfin, si les yeux perçants étaient un peu voilés, on ne savait si cette altération venait de la fatigue du voyage ou de la trop fréquente expression du plaisir. Enfin Corentin remarqua que l’inconnue était enveloppée dans une mante d’étoffe anglaise, et que la forme de son chapeau, sans doute étrangère, n’appartenait à aucune des modes dites à la grecque qui régissaient encore les toilettes parisiennes. Corentin était un de ces êtres portés par