pied de guerre. Désormais je pouvais sans crainte lutter de grâce et d’élégance avec les jeunes gens qui tourbillonnaient autour de Fœdora. Je revins chez moi. Je m’y enfermai, restant tranquille en apparence, près de ma lucarne, mais disant d’éternels adieux à mes toits, vivant dans l’avenir, dramatisant ma vie, escomptant l’amour et ses joies. Ah ! comme une existence peut devenir orageuse entre les quatre murs d’une mansarde ! L’âme humaine est une fée : elle métamorphose une paille en diamants ; sous sa baguette les palais enchantés éclosent comme les fleurs des champs sous les chaudes inspirations du soleil. Le lendemain, vers midi, Pauline frappa doucement à ma porte et m’apporta, devine quoi ? une lettre de Fœdora. La comtesse me priait de venir la prendre au Luxembourg pour aller, de là, voir ensemble le Muséum et le jardin des Plantes. — Un commissionnaire attend la réponse, me dit-elle après un moment de silence. Je griffonnai promptement une lettre de remerciement que Pauline emporta. Je m’habillai. Au moment où, assez content de moi-même, j’achevais ma toilette, un frisson glacial me saisit à cette pensée : Fœdora est-elle venue en voiture ou à pied ? pleuvra-t-il, fera-t-il beau ? Mais, me dis-je, qu’elle soit à pied ou en voiture, est-on jamais certain de l’esprit fantasque d’une femme ? elle sera sans argent et voudra donner cent sous à un petit Savoyard parce qu’il aura de jolies guenilles. J’étais sans un rouge liard et ne devais avoir de l’argent que le soir. Oh ! combien, dans ces crises de notre jeunesse, un poète paie cher la puissance intellectuelle dont il est investi par le régime et par le travail ! En un instant, mille pensées vives et douloureuses me piquèrent comme autant de dards. Je regardai le ciel par ma lucarne, le temps était fort incertain. En cas de malheur, je pouvais bien prendre une voiture pour la journée, mais aussi ne tremblerais-je pas à tout moment, au milieu de mon bonheur, de ne pas rencontrer Finot le soir ? Je ne me sentis pas assez fort pour supporter tant de craintes au sein de ma joie. Malgré la certitude de ne rien trouver, j’entrepris une grande exploration à travers ma chambre, je cherchai des écus imaginaires jusque dans les profondeurs de ma paillasse, je fouillai tout, je secouai même de vieilles bottes. En proie à une fièvre nerveuse, je regardais mes meubles d’un œil hagard après les avoir renversés tous. Comprendras-tu le délire qui m’anima, lorsqu’en ouvrant pour la septième fois le tiroir de ma table à écrire que je visitais
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