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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

et je les ai mises sur votre table. — Vous devez bientôt recevoir de l’argent, monsieur Raphaël, me dit la bonne mère, qui montra sa tête entre les rideaux ; je puis bien vous prêter quelques écus en attendant. — Oh ! Pauline, m’écriai-je en lui serrant la main, je voudrais être riche. — Bah ! pourquoi ? dit-elle d’un air mutin. Sa main tremblant dans la mienne répondait à tous les battements de mon cœur ; elle retira vivement ses doigts, examina les miens : — Vous épouserez une femme riche ! dit-elle, mais elle vous donnera bien du chagrin. Ah ! Dieu ! elle vous tuera. J’en suis sûre. Il y avait dans son cri une sorte de croyance aux folles superstitions de sa mère. — Vous êtes bien crédule, Pauline ! — Oh ! bien certainement ! dit-elle en me regardant avec terreur, la femme que vous aimerez vous tuera. Elle reprit son pinceau, le trempa dans la couleur en laissant paraître une vive émotion, et ne me regarda plus. En ce moment, j’aurais bien voulu croire à des chimères. Un homme n’est pas tout à fait misérable quand il est superstitieux. Une superstition est une espérance. Retiré dans ma chambre, je vis en effet deux nobles écus dont la présence me parut inexplicable. Au sein des pensées confuses du premier sommeil, je tâchai de vérifier mes dépenses pour me justifier cette trouvaille inespérée, mais je m’endormis perdu dans d’inutiles calculs. Le lendemain, Pauline vint me voir au moment où je sortais pour aller louer une loge. — Vous n’avez peut-être pas assez de dix francs, me dit en rougissant cette bonne et aimable fille, ma mère m’a chargée de vous offrir cet argent. Prenez, prenez ! Elle jeta trois écus sur ma table et voulut se sauver ; mais je la retins. L’admiration sécha les larmes qui roulaient dans mes yeux : — Pauline, lui dis-je, vous êtes un ange ! Ce prêt me touche bien moins que la pudeur de sentiment avec laquelle vous me l’offrez. Je désirais une femme riche, élégante, titrée ; hélas ! maintenant je voudrais posséder des millions et rencontrer une jeune fille pauvre comme vous et comme vous riche de cœur, je renoncerais à une passion fatale qui me tuera. Vous aurez peut-être raison. — Assez ! dit-elle. Elle s’enfuit, et sa voix de rossignol, ses roulades fraîches retentirent dans l’escalier. — Elle est bien heureuse de ne pas aimer encore ! me dis-je en pensant aux tortures que je souffrais depuis plusieurs mois. Les quinze francs de Pauline me furent bien précieux. Fœdora, songeant aux émanations populacières de la salle où nous devions rester pendant quelques heures, regretta de ne pas avoir un