Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/392

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« Je n’osais pas te dire qu’entre moi et l’Absolu, à peine existe-t-il un cheveu de distance. Pour gazéfier les métaux, il ne me manque plus que de trouver un moyen de les soumettre à une immense chaleur dans un milieu où la pression de l’atmosphère soit nulle, enfin dans un vide absolu. » Mme Claës ne put soutenir l’égoïsme de cette réponse. Elle attendait des remerciements passionnés pour ses sacrifices, et trouvait un problème de chimie. Elle quitta brusquement son mari, descendit au parloir, y tomba sur sa bergère entre ses deux filles effrayées, et fondit en larmes ; Marguerite et Félicie lui prirent chacune une main, s’agenouillèrent de chaque côté de sa bergère en pleurant comme elle sans savoir la cause de son chaglin, et lui demandèrent à plusieurs reprises :

« Qu’avez-vous, ma mère ?

— Pauvres enfants ! je suis morte, je le sens. » Cette réponse fit frissonner Marguerite qui, pour la première fois, aperçut sur le visage de sa mère les traces de la pâleur particulière aux personnes dont le teint est brun.

« Martha, Martha ! criait Félicie, venez, maman a besoin de vous. » La vieille duègne accourut de la cuisine, et en voyant la blancheur verte de cette figure légèrement bistrée et si vigoureusement colorée : « Corps du Christ ! s’écria-t-elle en espagnol, madame se meurt. » Elle sortit précipitamment, dit à Josette de faire chauffer de l’eau pour un bain de pieds, et revint près de sa maîtresse.

« N’effrayez pas monsieur, ne lui dites rien, Martha, s’écria Mme Claës. Pauvres chères filles, ajouta-t-elle, en pressant sur son cœur Marguerite et Félicie par un mouvement désespéré, je voudrais pouvoir vivre assez de temps pour vous voir heureuses et mariées. Martha, reprit-elle, dites à Lemulquinier d’aller chez M. de Solis, pour le prier de ma part de passer ici. » Ce coup de foudre se répercuta nécessairement jusque dans la cuisine. Josette et Martha, toutes deux dévouées à Mme Claës et à ses filles, furent frappées dans la seule affection qu’elles eussent.

Ces terribles mots : « Madame se meurt, monsieur l’aura tuée, faites vite un bain de pieds à la moutarde ! » avaient arraché plusieurs phrases interjectives à Josette qui en accablait Lemulquinier. Lemulquinier, froid et insensible, mangeait assis au coin de la table, devant une des fenêtres par lesquelles le jour venait de la cour dans la cuisine,