Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/399

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revoir Emmanuel qui, de son côté, restait attaché au bras de son oncle. Quoique habilement distribué pour faire valoir chaque toile, le jour faible de la galerie favorisa ces coups d’œil furtifs qui sont la joie des gens timides. Sans doute chacun d’eux n’alla pas, même en pensée, jusqu’au si par lequel commencent les passions ; mais tous deux ils sentirent ce trouble profond qui remue le cœur, et sur lequel au jeune âge on se garde à soi-même le secret, par friandise ou par pudeur.

La première impression qui détermine les débordements d’une sensibilité longtemps contenue, est suivie chez tous les jeunes gens de l’étonnement à demi stupide que causent aux enfants les premières sonneries de la musique. Parmi les enfants, les uns rient et pensent, d’autres ne rient qu’après avoir pensé ; mais ceux dont l’âme est appelée à vivre de poésie ou d’amour écoutent longtemps et redemandent la mélodie par un regard où s’allume déjà le plaisir, où poind la curiosité de l’infini. Si nous aimons irrésistiblement les lieux où nous avons été, dans notre enfance, initiés aux beautés de l’harmonie, si nous nous souvenons avec délices et du musicien et même de l’instrument, comment se défendre d’aimer l’être qui, le premier, nous révèle les musiques de la vie ? Le premier cœur où nous avons aspiré l’amour n’est-il pas comme une patrie ? Emmanuel et Marguerite furent l’un pour l’autre cette Voix musicale qui réveille un sens, cette Main qui relève des voiles nuageux et montre les rives baignées par les feux du midi.

Quand Mme Claës arrêta le vieillard devant un tableau de Guide qui représentait un ange, Marguerite avança la tête pour voir quelle serait l’impression d’Emmanuel, et le jeune homme chercha Marguerite pour comparer la muette pensée de la toile à la vivante pensée de la créature.

Cette involontaire et ravissante flatterie fut comprise et savourée. Le vieil abbé louait gravement cette belle composition, et Mme Claës lui répondait ; mais les deux enfants étaient silencieux.

Telle fut leur rencontre. Le jour mystérieux de la galerie, la paix de la maison, la présence des parents, tout contribuait à graver plus avant dans le cœur les traits délicats de ce vaporeux mirage.

Les mille pensées confuses qui venaient de pleuvoir chez Marguerite se calmèrent, firent dans son âme comme une étendue limpide et se teignirent d’un rayon lumineux, quand Emmanuel balbutia quelques phrases en prenant congé de Mme Claës.

Cette voix, dont le timbre frais et velouté répandait au cœur des enchantements inouïs, compléta la révélation soudaine qu’Emmanuel avait