parut puiser des forces en lui-même, regarda Marguerite et resta. Marguerite devina que le professeur voulait lui parler et lui proposa de venir au jardin. Elle renvoya sa sœur Félicie, près de Martha qui travaillait dans l’anti-chambre, située au premier étage ; puis elle s’alla placer sur un banc où elle pouvait être vue de sa sœur et de la vieille duègne.
— Monsieur Claës est aussi absorbé par le chagrin qu’il l’était par ses recherches savantes, dit le jeune homme en voyant Balthazar marchant lentement dans la cour. Tout le monde le plaint en ville ; il va comme un homme qui n’a plus ses idées ; il s’arrête sans motif, regarde sans voir…
— Chaque douleur a son expression, dit Marguerite en retenant ses pleurs. Que vouliez-vous me dire ? reprit-elle après une pause et avec une dignité froide.
— Mademoiselle, répondit Emmanuel d’une voix émue, ai-je le droit de vous parler comme je vais le faire ? Ne voyez, je vous prie, que mon désir de vous être utile et laissez-moi croire qu’un professeur peut s’intéresser au sort de ses élèves au point de s’inquiéter de leur avenir. Votre frère Gabriel a quinze ans passés, il est en seconde, et certes il est nécessaire de diriger ses études dans l’esprit de la carrière qu’il embrassera. Monsieur votre père est le maître de décider cette question ; mais s’il n’y pensait pas, ne serait-ce pas un malheur pour Gabriel ? Ne serait-ce pas aussi bien mortifiant pour monsieur votre père, si vous lui faisiez observer qu’il ne s’occupe pas de son fils ? Dans cette conjoncture, ne pourriez-vous pas consulter votre frère sur ses goûts, lui faire choisir par lui-même une carrière, afin que si, plus tard, son père voulait en faire un magistrat, un administrateur, un militaire, Gabriel eût déjà des connaissances spéciales ? Je ne crois pas que ni vous ni monsieur Claës vous vouliez le laisser oisif…
— Oh ! non, dit Marguerite. Je vous remercie, monsieur Emmanuel, vous avez raison. Ma mère, en nous faisant faire de la dentelle, en nous apprenant avec tant de soin à dessiner, à coudre, à broder, à toucher du piano, nous disait souvent qu’on ne savait pas ce qui pouvait arriver dans la vie. Gabriel doit avoir une valeur personnelle et une éducation complète. Mais, quelle est la carrière la plus convenable que puisse prendre un homme ?
— Mademoiselle, dit Emmanuel en tremblant de bonheur, Gabriel est celui de sa classe qui montre le plus d’aptitude aux ma-