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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/448

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Balthazar en lui jetant un regard d’horreur. Il se leva, contempla le parloir et sortit lentement. En arrivant à la porte, il se retourna comme eût fait un mendiant et interrogea sa fille par un geste auquel Marguerite répondit en faisant un signe de tête négatif. « Adieu, ma fille, dit-il avec douceur, tâchez de vivre heureuse. » Quand il eut disparu, Marguerite resta dans une stupeur qui eut pour effet de l’isoler de la terre, elle n’était plus dans le parloir, elle ne sentait plus son corps, elle avait des ailes, et volait dans les espaces du monde moral où tout est immense, où la pensée rapproche et les distances et les temps, où quelque main divine relève la toile étendue sur l’avenir. Il lui sembla qu’il s’écoulait des jours entiers entre chacun des pas que faisait son père en montant l’escalier ; puis elle eut un frisson d’horreur au moment où elle l’entendit entrer dans sa chambre. Guidée par un pressentiment qui répandit dans son âme la poignante clarté d’un éclair, elle franchit les escaliers, sans lumière, sans bruit, avec la vélocité d’une flèche, et vit son père qui s’ajustait le front avec un pistolet.

« Prenez tout », lui cria-t-elle en s’élançant vers lui.

Elle tomba sur un fauteuil, Balthazar la voyant pâle, se mit à pleurer comme pleurent les vieillards ; il redevint enfant, il la baisa au front, lui dit des paroles sans suite, il était près de sauter de joie, et semblait vouloir jouer avec elle comme un amant joue avec sa maîtresse après en avoir obtenu le bonheur.

« Assez ! assez, mon père, dit-elle, songez à votre promesse ! Si vous ne réussissez pas, vous m’obéirez !

— Oui.

— Ô ma mère, dit-elle en se tournant vers la chambre de Mme Claës, vous auriez tout donné, n’est-ce pas ?

— Dors en paix, dit Balthazar, tu es une bonne fille.

— Dormir ! dit-elle, je n’ai plus les nuits de ma jeunesse ; vous me vieillissez, mon père, comme vous avez lentement flétri le cœur de ma mère.

— Pauvre enfant, je voudrais te rassurer en t’expliquant les effets de la magnifique expérience que je viens d’imaginer, tu comprendrais…

— Je ne comprends que notre ruine », dit-elle en s’en allant.

Le lendemain matin, qui était un jour de congé, Emmanuel de Solis amena Jean.

« Eh bien ? dit-il avec tristesse en abordant Marguerite.