Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/126

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tente un dernier effort. Alice vient faire apparaître la mère ; vous entendez alors le grand trio vers lequel a marché l’opéra : le triomphe de l’âme sur la matière, de l’esprit du bien sur l’esprit du mal. Les chants religieux dissipent les chants infernaux, le bonheur se montre splendide ; mais ici la musique a faibli : j’ai vu une cathédrale au lieu d’entendre le concert des anges heureux, quelque divine prière des âmes délivrées applaudissant à l’union de Robert et d’Isabelle. Nous ne devions pas rester sous le poids des enchantements de l’enfer, nous devions sortir avec une espérance au cœur. A moi, musicien catholique, il me fallait une autre prière de Mosè. J’aurais voulu savoir comment l’Allemagne aurait lutté contre l’Italie, ce que Meyerbeer aurait fait pour rivaliser avec Rossini. Cependant, malgré ce léger défaut, l’auteur peut dire qu’après cinq heures d’une musique si substantielle, un Parisien préfère une décoration à un chef-d’œuvre musical ! Vous avez entendu les acclamations adressées à cette œuvre, elle aura cinq cents représentations ! Si les Français ont compris cette musique…

— C’est parce qu’elle offre des idées, dit le comte.

— Non, c’est parce qu’elle présente avec autorité l’image des luttes où tant de gens expirent, et parce que toutes les existences individuelles peuvent s’y rattacher par le souvenir. Aussi, moi, malheureux, aurais-je été satisfait d’entendre ce cri des voix célestes que j’ai tant de fois rêvé.

Aussitôt Gambara tomba dans une extase musicale, et improvisa la plus mélodieuse et la plus harmonieuse cavatine que jamais Andrea devait entendre, un chant divin divinement chanté dont le thème avait une grâce comparable à celle de l’O filii et filiae, mais plein d’agréments que le génie musical le plus élevé pouvait seul trouver. Le comte resta plongé dans l’admiration la plus vive : les nuages se dissipaient, le bleu du ciel s’entr’ouvrait, des figures d’anges apparaissaient et levaient les voiles qui cachent le sanctuaire, la lumière du ciel tombait à torrents. Bientôt le silence régna. Le comte, étonné de ne plus rien entendre, contempla Gambara qui, les yeux fixes et dans l’attitude des tériakis, balbutiait le mot Dieu ! Le comte attendit que le compositeur descendît des pays enchantés où il était monté sur les ailes diaprées de l’inspiration, et résolut de l’éclairer avec la lumière qu’il en rapporterait.

— Hé ! bien, lui dit-il en lui offrant un autre verre plein et