Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/146

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un fauteuil, et commença par fermer une porte située auprès de la cheminée, et par laquelle on passait de la chambre de parade dans les appartements de réception qui communiquaient à l’escalier d’honneur. En voyant son mari garder cette clef, la comtesse eut le pressentiment d’un malheur ; elle l’entendit ouvrir la porte opposée à celle qu’il venait de fermer, et se rendre dans une autre pièce où couchaient les comtes d’Hérouville, quand ils n’honoraient pas leurs femmes de leur noble compagnie. La comtesse ne connaissait que par ouï-dire la destination de cette chambre, la jalousie fixait son mari près d’elle. Si quelques expéditions militaires l’obligeaient à quitter le lit d’honneur, le comte laissait au château des argus dont l’incessant espionnage accusait ses outrageuses défiances. Malgré l’attention avec laquelle la comtesse s’efforçait d’écouter le moindre bruit, elle n’entendit plus rien. Le comte était arrivé dans une longue galerie contiguë à sa chambre, et qui occupait l’aile occidentale du château. Le cardinal d’Hérouville, son grand-oncle, amateur passionné des œuvres de l’imprimerie, y avait amassé une bibliothèque aussi curieuse par le nombre que par la beauté des volumes, et la prudence lui avait fait pratiquer dans les murs une de ces inventions conseillées par la solitude ou par la peur monastique. Une chaîne d’argent mettait en mouvement, au moyen de fils invisibles, une sonnette placée au chevet d’un serviteur fidèle. Le comte tira cette chaîne, un écuyer de garde ne tarda pas à faire retentir du bruit de ses bottes et de ses éperons les dalles sonores d’une vis en colimaçon contenue dans la haute tourelle qui flanquait l’angle occidental du château du côté de la mer. En entendant monter son serviteur, le comte alla dérouiller les ressorts de fer et les verrous qui défendaient la porte secrète par laquelle la galerie communiquait avec la tour, et il introduisit dans ce sanctuaire de la science un homme d’armes dont l’encolure annonçait un serviteur digne du maître. L’écuyer, à peine éveillé, semblait avoir marché par instinct ; la lanterne de corne qu’il tenait à la main éclaira si faiblement la longue galerie, que son maître et lui se dessinèrent dans l’obscurité comme deux fantômes.

— Selle mon cheval de bataille à l’instant même, et tu vas m’accompagner. Cet ordre fut prononcé d’un son de voix profond qui réveilla l’intelligence du serviteur ; il leva les yeux sur son maître, et rencontra un regard si perçant, qu’il en reçut comme une se-