Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/162

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nait une sorte de fièvre. Vous eussiez dit d’un de ces petits insectes pour lesquels Dieu semble modérer la violence du vent et la chaleur du soleil ; comme eux incapable de lutter contre le moindre obstacle, il cédait comme eux, sans résistance ni plainte, à tout ce qui paraissait agressif. Cette patience angélique inspirait à la comtesse un sentiment profond qui ôtait toute fatigue aux soins minutieux réclamés par une santé si chancelante.

Elle remercia Dieu, qui plaçait Etienne, comme une foule de créatures, au sein de la sphère de paix et de silence, la seule où il pût s’élever heureusement. Souvent les mains maternelles, pour lui si douces et si fortes à la fois, le transportaient dans la haute région des fenêtres ogives. De là, ses yeux, bleus comme ceux de sa mère, semblaient étudier les magnificences de l’Océan. Tous deux restaient alors des heures entières à contempler l’infini de cette vaste nappe, tour à tour sombre et brillante, muette et sonore. Ces longues méditations étaient pour Etienne un secret apprentissage de la douleur. Presque toujours alors les yeux de sa mère se mouillaient de larmes, et pendant ces pénibles songes de l’âme, les jeunes traits d’Etienne ressemblaient à un léger réseau tiré par un poids trop lourd. Bientôt sa précoce intelligence du malheur lui révéla le pouvoir que ses jeux exerçaient sur la comtesse ; il essaya de la divertir par les mêmes caresses dont elle se servait pour endormir ses souffrances. Jamais ses petites mains lutines, ses petits mots bégayés, ses rires intelligents, ne manquaient de dissiper les rêveries de sa mère. Etait-il fatigué, sa délicatesse instinctive l’empêchait de se plaindre.

— Pauvre chère sensitive, s’écria la comtesse en le voyant endormi de lassitude après une folâtrerie qui venait de faire enfuir un de ses plus douloureux souvenirs, où pourras-tu vivre ? Qui te comprendra jamais, toi dont l’âme tendre sera blessée par un regard trop sévère ? toi qui, semblable à ta triste mère, estimeras un doux sourire chose plus précieuse que tous les biens de la terre ? Ange aimé de ta mère, qui t’aimera dans le monde ? Qui devinera les trésors cachés sous ta frêle enveloppe ? Personne. Comme moi, tu seras seul sur terre. Dieu te garde de concevoir, comme moi, un amour favorisé par Dieu, traversé par les hommes !

Elle soupira, elle pleura. La gracieuse pose de son fils qui dormait sur ses genoux la fit sourire avec mélancolie : elle le regarda longtemps en savourant un de ces plaisirs qui sont un secret entre