Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/167

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droit. La duchesse y allait passer la plus grande partie de la journée. La mère et l’enfant parcouraient ensemble les rochers et les grèves ; elle indiquait à Etienne les limites de son petit domaine de sable, de coquilles, de mousse et de cailloux ; la terreur profonde qui la saisissait en lui voyant quitter l’enceinte concédée, lui fit comprendre que la mort l’attendait au delà. Etienne trembla pour sa mère avant de trembler pour lui-même ; puis bientôt chez lui, le nom même du duc d’Hérouville excita un trouble qui le dépouillait de son énergie, et le soumettait à l’atonie qui fait tomber une jeune fille à genoux devant un tigre. S’il apercevait de loin ce géant sinistre, ou s’il en entendait la voix, l’impression douloureuse qu’il avait ressentie jadis au moment où il fut maudit lui glaçait le coeur. Aussi, comme un Lapon qui meurt au delà de ses neiges, se fit-il une délicieuse patrie de sa cabane et de ses rochers ; s’il en dépassait la frontière, il éprouvait un malaise indéfinissable. En prévoyant que son pauvre enfant ne pourrait trouver de bonheur que dans une humble sphère silencieuse, la duchesse regretta moins d’abord la destinée qu’on lui avait imposée ; elle s’autorisa de cette vocation forcée pour lui préparer une belle vie en remplissant sa solitude par les nobles occupations de la science, et fit venir au château Pierre de Sebonde pour servir de précepteur au futur cardinal d’Hérouville. Malgré la tonsure destinée à son fils, Jeanne de Saint-Savin ne voulut pas que cette éducation sentît la prêtrise, et la sécularisa par son intervention. Beauvouloir fut chargé d’initier Etienne aux mystères des sciences naturelles. La duchesse, qui surveillait elle-même les études afin de les mesurer à la force de son enfant, le récréait en lui apprenant l’italien et lui dévoilait insensiblement les richesses poétiques de cette langue. Pendant que le duc conduisait Maximilien devant les sangliers au risque de le voir se blesser, Jeanne s’engageait avec Etienne dans la voie lactée des sonnets de Pétrarque ou dans le gigantesque labyrinthe de la Divine Comédie. Pour dédommager Etienne de ses infirmités, la nature l’avait doué d’une voix si mélodieuse, qu’il était difficile de résister au plaisir de l’entendre ; sa mère lui enseigna la musique. Des chants tendres et mélancoliques, soutenus par les accents d’une mandoline, étaient une récréation favorite que promettait la mère en récompense de quelque travail demandé par l’abbé de Sebonde. Etienne écoutait sa mère avec une admiration passionnée qu’elle n’avait jamais vue que dans les yeux de Chaverny. La première fois