Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/169

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la vie de l’amour, il pourrait être bien heureux ! pensait-elle souvent.

Mais les terribles intérêts qui exigeaient la tonsure sur la tête d’Etienne lui revenaient en mémoire, et elle baisait les cheveux que les ciseaux de l’Eglise devaient retrancher, en y laissant des larmes. Malgré l’injuste convention faite avec le duc, elle ne voyait Etienne ni prêtre ni cardinal dans ces trouées que son œil de mère faisait à travers les épaisses ténèbres de l’avenir. Le profond oubli du père lui permit de ne pas engager son pauvre enfant dans les Ordres.

— Il sera toujours bien temps ! se disait-elle.

Puis, sans s’avouer une pensée enfouie dans son coeur, elle formait Etienne aux belles manières des courtisans, elle le voulait doux et gentil comme était Georges de Chaverny. Réduite à quelque mince épargne par l’ambition du duc, qui gouvernait lui-même les biens de sa maison en employant tous les revenus à son agrandissement ou à son train, elle avait adopté pour elle la mise la plus simple, et ne dépensait rien afin de pouvoir donner à son fils des manteaux de velours, des bottes en entonnoir garnies de dentelles, des pourpoints en fines étoffes tailladées. Ses privations personnelles lui faisaient éprouver les mêmes joies que causent les dévouements qu’on se plaît tant à cacher aux personnes aimées. Elle se faisait des fêtes secrètes en pensant, quand elle brodait un collet, au jour où le cou de son fils en serait orné. Elle seule avait soin des vêtements, du linge, des parfums, de la toilette d’Etienne, elle ne se parait que pour lui, car elle aimait à être trouvée belle par lui. Tant de sollicitudes accompagnées d’un sentiment qui pénétrait la chair de son fils et la vivifiait, eurent leur récompense. Un jour Beauvouloir, cet homme divin qui par ses leçons s’était rendu cher à l’enfant maudit et dont les services n’étaient pas d’ailleurs ignorés d’Etienne ; ce médecin de qui le regard inquiet faisait trembler la duchesse toutes les fois qu’il examinait cette frêle idole, déclara qu’Etienne pouvait vivre de longs jours si aucun sentiment violent ne venait agiter brusquement ce corps si délicat. Etienne avait alors seize ans.

A cet âge, la taille d’Etienne avait atteint cinq pieds, mesure qu’il ne devait plus dépasser ; mais Georges de Chaverny était de taille moyenne. Sa peau, transparente et satinée comme celle d’une petite fille, laissait voir le plus léger rameau de ses veines