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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/178

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d’avoir une autre mère, une autre âme à lui ; mais séparé de la civilisation par une barrière d’airain, il était difficile qu’il rencontrât un être qui se fût fait fleur comme lui. A force de chercher un autre lui-même auquel il pût confier ses pensées et dont la vie pût devenir la sienne, il finit par sympathiser avec l’Océan. La mer devint pour lui un être animé, pensant. Toujours en présence de cette immense création dont les merveilles cachées contrastent si grandement avec celles de la terre, il y découvrit la raison de plusieurs mystères. Familiarisé dès le berceau avec l’infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui racontèrent d’admirables poésies. Pour lui, tout était varié dans ce large tableau si monotone en apparence. Comme tous les hommes de qui l’âme domine le corps, il avait une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité, sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblements les plus éphémères de l’eau. Par un calme parfait, il trouvait encore des teintes multipliées à la mer qui, semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des idées, des caprices : là verte et sombre, ici riant dans son azur, tantôt unissant ses lignes brillantes avec les lueurs indécises de l’horizon, tantôt se balançant d’un air doux sous des nuages orangés. Il se rencontrait pour lui des fêtes magnifiques pompeusement célébrées au coucher du soleil, quand l’astre versait ses couleurs rouges sur les flots comme un manteau de pourpre. Pour lui la mer était gaie, vive, spirituelle au milieu du jour, lorsqu’elle frissonnait en répétant l’éclat de la lumière par ses mille facettes éblouissantes ; elle lui révélait d’étonnantes mélancolies, elle le faisait pleurer, lorsque, résignée, calme et triste, elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages. Il avait saisi les langages muets de cette immense création. Le flux et reflux était comme une respiration mélodieuse dont chaque soupir lui peignait un sentiment, il en comprenait le sens intime. Nul marin, nul savant n’aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l’Océan, le plus léger changement de sa face. A la manière dont le flot venait mourir sur le rivage, il devinait les houles, les tempêtes, les grains, la force des marées. Quand la nuit étendait ses voiles sur le ciel, il voyait encore la mer sous les lueurs crépusculaires, et conversait avec elle ; il participait à sa féconde vie, il éprouvait en son âme une véritable tempête quand elle se courrouçait ; il respirait sa colère dans ses sifflements aigus, il courait