Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/182

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Ces quatre personnages formaient un tableau plein d’enseignements pour la vie humaine. L’écuyer, le prêtre et le médecin, blanchis par les années, tous trois debout devant leur maître assis dans son fauteuil, et ne se jetant l’un à l’autre que de pâles regards, traduisaient chacun l’une des idées qui finissent par s’emparer de l’homme au bord de la tombe. Fortement éclairés par un dernier rayon du soleil couchant, ces hommes silencieux composaient un tableau sublime de mélancolie et fertile en contrastes. Cette chambre sombre et solennelle, où rien n’était changé depuis vingt-cinq années, encadrait bien cette page poétique, pleine de passions éteintes, attristée par la mort, remplie par la religion.

— Le maréchal d’Ancre a été tué sur le pont du Louvre par ordre du roi, puis,… Oh ! mon Dieu…

— Achevez, cria le seigneur.

— Monseigneur le duc de Nivron…

— Eh ! bien.

— Est mort !

Le duc pencha la tête sur sa poitrine, fit un grand soupir, et resta muet. A ce mot, à ce soupir, les trois vieillards se regardèrent. Il leur sembla que l’illustre et opulente maison d’Hérouville disparaissait devant eux comme un navire qui sombre.

— Le maître d’en haut, reprit le duc en lançant un terrible regard sur le ciel, se montre bien ingrat envers moi. Il ne se souvient pas des hauts faits que j’ai commis pour sa sainte cause !

— Dieu se venge, dit le prêtre d’une voix grave.

— Mettez cet homme au cachot, s’écria le seigneur.

— Vous pouvez me faire taire plus facilement que vous n’apaiserez votre conscience.

Le duc d’Hérouville redevint pensif.

— Ma maison périr ! mon nom s’éteindre ! Je veux me marier, avoir un fils ! dit-il après une longue pause.

Quelque effrayante que fût l’expression du désespoir peint sur la face du duc d’Hérouville, le rebouteur ne put s’empêcher de sourire. En ce moment, un chant frais comme l’air du soir, aussi pur que le ciel, simple autant que la couleur de l’Océan, domina le murmure de la mer et s’éleva pour charmer la nature. La mélancolie de cette voix, la mélodie des paroles, répandirent dans l’âme comme un parfum. L’harmonie montait par nuages, remplissait les airs, versait du baume sur toutes douleurs, ou plutôt elle les consolait