Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/191

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demandant sa parole d’approuver sa conduite, il pensa soudain à Gabrielle, à cette douce enfant, dont la mère avait été oubliée par le duc, comme il avait oublié son fils Etienne. Il attendit le départ de son maître avant de mettre son plan à exécution, en prévoyant que si le duc en avait connaissance, les énormes difficultés qui pourraient être levées à la faveur d’un résultat favorable, seraient dès l’abord insurmontables.

La maison de maître Beauvouloir était exposée au midi, sur le penchant d’une de ces douces collines qui cerclent les vallées de Normandie ; un bois épais l’enveloppait au nord ; des murs élevés et des haies normandes à fossés profonds, y faisaient une impénétrable enceinte. Le jardin descendait, en pente molle, jusqu’à la rivière qui arrosait les herbages de la vallée, et à laquelle le haut talus d’une double haie formait en cet endroit un quai naturel. Dans cette haie tournait une secrète allée, dessinée par les sinuosités des eaux, et que les saules, les hêtres, les chênes rendaient touffue comme un sentier de forêt. Depuis la maison jusqu’à ce rempart, s’étendaient les masses de la verdure particulière à ce riche pays, belle nappe ombragée par une lisière d’arbres rares, dont les nuances composaient une tapisserie heureusement colorée : là, les teintes argentées d’un pin se détachaient de dessus le vert foncé de quelques aulnes ; ici, devant un groupe de vieux chênes, un svelte peuplier élançait sa palme, toujours agitée ; plus loin, des saules pleureurs penchaient leurs feuilles pâles entre de gros noyers à tête ronde. Cette lisière permettait de descendre, à toute heure, de la maison vers la haie, sans avoir à craindre les rayons du soleil. La façade, devant laquelle se déroulait le ruban jaune d’une terrasse sablée, était ombrée par une galerie de bois autour de laquelle s’entortillaient des plantes grimpantes qui, dans le mois de mai, jetaient leurs fleurs jusqu’aux croisées du premier étage. Sans être vaste, ce jardin semblait immense par la manière dont il était percé ; et ses points de vue, habilement ménagés dans les hauteurs du terrain, se mariaient à ceux de la vallée où l’œil se promenait librement. Selon les instincts de sa pensée, Gabrielle pouvait, ou rentrer dans la solitude d’un étroit espace sans y apercevoir autre chose qu’un épais gazon et le bleu du ciel entre les cimes des arbres, ou planer sur les plus riches perspectives en suivant les nuances des lignes vertes, depuis leurs premiers plans si éclatants, jusqu’aux