que ce duc… est Cataneo lui-même, et votre ami Vendramin, croyant servir vos intérêts, lui a loué ce palais pour le temps de mon engagement à la Fenice, moyennant mille écus. Chère idole de mon désir, lui dit-elle en le prenant par la main et l’attirant à elle, pourquoi fuis-tu celle pour qui bien des gens se feraient casser les os ? L’amour, vois-tu, sera toujours l’amour. Il est partout semblable à lui-même, il est comme le soleil de nos âmes, on se chauffe partout où il brille, et nous sommes ici en plein midi. Si, demain, tu n’es pas content, tue-moi ! Mais je vivrai, va ! car je suis furieusement belle.
Emilio résolut de rester. Quand il eut consenti par un signe de tête, le mouvement de joie qui agita la Tinti lui parut éclairé par une lueur jaillie de l’enfer. Jamais l’amour n’avait pris à ses yeux une expression si grandiose. En ce moment, Carmagnola siffla vigoureusement. -- Que peut-il me vouloir ? se dit le prince.
Vaincu par l’amour, Emilio n’écouta point les sifflements répétés de Carmagnola.
Si vous n’avez pas voyagé en Suisse, vous lirez peut-être avec plaisir cette description, et si vous avez grimpé par ces Alpes-là, vous ne vous en rappellerez pas les accidents sans émotion. Dans ce sublime pays, au sein d’une roche fendue en deux par une vallée, chemin large comme l’avenue de Neuilly à Paris, mais creux de quelques cent toises et craquelé de ravins, il se rencontre un cours d’eau tombé soit du Saint-Gothard, soit du Simplon, d’une cime alpestre quelconque, qui trouve un vaste puits, profond de je ne sais combien de brasses, long et large de plusieurs toises, bordé de quartiers de granit ébréchés sur lesquels on voit des prés, entre lesquels s’élancent des sapins, des aunes gigantesques, et où viennent aussi des fraises et des violettes ; parfois on trouve un chalet aux fenêtres duquel se montre le frais visage d’une blonde Suissesse ; selon les aspects du ciel, l’eau de ce puits est bleue ou verte, mais comme un saphir est bleu, comme une émeraude est verte ; eh ! bien, rien au monde ne représente au voyageur le plus insouciant, au diplomate le plus pressé, à l’épicier le plus bonhomme, les idées de profondeur, de calme, d’immensité, de céleste affection, de bonheur éternel, comme ce diamant liquide où la neige, accourue des plus hautes Alpes, coule en eau limpide par une rigole naturelle, cachée sous les arbres, creusée dans le roc, et d’où elle s’échappe par une fente, sans murmure ; la nappe, qui