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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/226

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qués, que la société marque d’avance au fer chaud, en les appelant des mauvais sujets. Tous gens incompris pour la plupart, dont l’existence peut devenir, ou belle au gré d’un sourire de femme qui les relève de leur brillante ornière, ou épouvantable à la fin d’une orgie, sous l’influence de quelque méchante réflexion échappée à leurs compagnons d’ivresse. Napoléon avait donc incorporé ces hommes d’énergie dans le 6e de ligne, en espérant les métamorphoser presque tous en généraux, sauf les déchets occasionnés par le boulet ; mais les calculs de l’empereur ne furent parfaitement justes que relativement aux ravages de la mort. Ce régiment, souvent décimé, toujours le même, acquit une grande réputation de valeur sur la scène militaire, et la plus détestable de toutes dans la vie privée. Au siége de Tarragone, les Italiens perdirent leur célèbre capitaine Bianchi, le même qui, pendant la campagne, avait parié manger le cœur d’une sentinelle espagnole, et le mangea. Ce divertissement de bivouac est raconté ailleurs (Scènes de la Vie parisienne), et il s’y trouve sur le 6e de ligne certains détails qui confirment tout ce qu’on en dit ici. Quoique Bianchi fût le prince des démons incarnés auxquels ce régiment devait sa double réputation, il avait cependant cette espèce d’honneur chevaleresque qui, à l’armée, fait excuser les plus grands excès. Pour tout dire en un mot, il eût été, dans l’autre siècle, un admirable flibustier. Quelques jours auparavant, il s’était distingué par une action d’éclat que le maréchal avait voulu reconnaître. Bianchi refusa grade, pension, décoration nouvelle, et réclama pour toute récompense la faveur de monter le premier à l’assaut de Tarragone. Le maréchal accorda la requête et oublia sa promesse ; mais Bianchi le fit souvenir de Bianchi. L’enragé capitaine planta, le premier, le drapeau français sur la muraille, et y fut tué par un moine.

Cette digression historique était nécessaire pour expliquer comment le 6e de ligne entra le premier dans Tarragone, et pourquoi le désordre, assez naturel dans une ville emportée de vive force, dégénéra si promptement en un léger pillage.

Ce régiment comptait deux officiers peu remarquables parmi ces hommes de fer, mais qui joueront néanmoins dans cette histoire, par juxta-position, un rôle assez important.

Le premier, capitaine d’habillement, officier moitié militaire, moitié civil, passait, en style soldatesque, pour faire ses affaires.