Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/234

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d’une bouche bien arquée. La basquine du pays faisait bien valoir la cambrure d’une taille facile à ployer comme un rameau de saule. C’était, non pas la Vierge de l’Italie, mais la Vierge de l’Espagne, celle du Murillo, le seul artiste assez osé pour l’avoir peinte enivrée de bonheur par la conception du Christ, imagination délirante du plus hardi, du plus chaud des peintres. Il se trouvait en cette fille trois choses réunies, dont une seule suffit à diviniser une femme : la pureté de la perle gisant au fond des mers, la sublime exaltation de la sainte Thérèse espagnole, et la volupté qui s’ignore. Sa présence eut toute la vertu d’un talisman. Montefiore ne vit plus rien de vieux autour de lui : la jeune fille avait tout rajeuni. Si l’apparition fut délicieuse, elle dura peu. L’inconnue fut reconduite dans la chambre mystérieuse, où la servante lui porta dès lors ostensiblement et de la lumière et son repas.

— Vous faites bien de la cacher, dit Montefiore en italien. Je vous garderai le secret. Diantre ! nous avons des généraux capables de vous l’enlever militairement.

L’enivrement de Montefiore alla jusqu’à lui suggérer l’idée d’épouser l’inconnue. Alors il demanda quelques renseignements à son hôte, Perez lui raconta volontiers l’aventure à laquelle il devait sa pupille, et le prudent Espagnol fut engagé à faire cette confidence, autant par l’illustration des Montefiore, dont il avait entendu parler en Italie, que pour montrer combien étaient fortes les barrières qui séparaient la jeune fille d’une séduction. Quoique le bonhomme eût une certaine éloquence de patriarche, en harmonie avec ses mœurs simples et conforme au coup d’escopette tiré sur Montefiore, ses discours gagneront à être résumés.

Au moment où la révolution française changea les mœurs des pays qui servirent de théâtre à ses guerres, vint à Tarragone une fille de joie, chassée de Venise par la chute de Venise. La vie de cette créature était un tissu d’aventures romanesques et de vicissitudes étranges. À elle, plus souvent qu’à toute autre femme de cette classe en dehors du monde, il arrivait, grâce au caprice d’un seigneur frappé de sa beauté extraordinaire, de se trouver pendant un certain temps gorgée d’or, de bijoux, entourée des mille délices de la richesse. C’était les fleurs, les carrosses, les pages, les caméristes, les palais, les tableaux, l’insolence, les voyages comme les faisait Catherine II ; enfin la vie d’une reine absolue dans ses caprices et obéie souvent par delà ses fantaisies. Puis, sans que ja-