Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/243

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lumière ; tout était calme, pur et sacré. Les idées rêveuses de Juana, mais Juana surtout, avaient communiqué leur charme aux choses, et son âme semblait y rayonner : c’était la perle dans sa nacre. Juana, vêtue de blanc, belle de sa seule beauté, laissant son rosaire pour appeler l’amour, aurait inspiré du respect à Montefiore lui-même, si le silence, si la nuit, si Juana n’avaient pas été si amoureuses, si le petit lit blanc n’avait pas laissé voir les draps entr’ouverts et l’oreiller confident de mille confus désirs. Montefiore demeura longtemps debout, ivre d’un bonheur inconnu, peut-être celui de Satan apercevant le ciel par une échappée des nuages qui en forment l’enceinte.

— Aussitôt que je vous ai vue, dit-il en pur toscan et d’une voix italiennement mélodieuse, je vous ai aimée. En vous ont été mon âme et ma vie, en vous elles seront pour toujours, si vous voulez.

Juana écoutait en aspirant dans l’air le son de ces paroles que la langue de l’amour rendait magnifiques.

— Pauvre petite, comment avez-vous pu respirer si longtemps dans cette noire maison sans y périr ? Vous, faite pour régner dans le monde, pour habiter le palais d’un prince, vivre de fête en fête, ressentir les joies que vous faites naître, voir tout à vos pieds, effacer les plus belles richesses par celles de votre beauté qui ne rencontrera pas de rivales, vous avez vécu là, solitaire, avec ces deux marchands !

Question intéressée. Il voulait savoir si Juana n’avait point eu d’amant.

— Oui, répondit-elle. Mais qui donc vous a dit mes pensées les plus secrètes ? Depuis quelques mois je suis triste à mourir. Oui, j’aimerais mieux être morte que de rester plus longtemps dans cette maison. Voyez cette broderie, il n’y a pas un point qui n’y ait été fait sans mille pensées affreuses. Que de fois j’ai voulu m’évader pour aller me jeter à la mer ! Pourquoi ? je ne le sais déjà plus… De petits chagrins d’enfant, mais bien vifs, malgré leur niaiserie… Souvent j’ai embrassé ma mère le soir, comme on embrasse sa mère pour la dernière fois, en me disant intérieurement : — Demain je me tuerai. Puis je ne mourais pas. Les suicidés vont en enfer, et j’avais si grand’peur de l’enfer que je me résignais à vivre, à toujours me lever, me coucher, travailler aux mêmes heures et faire les mêmes choses. Je ne m’ennuyais pas,