Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/247

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été un de ces libertins auxquels l’habitude du plaisir permet de conserver leur sang-froid en toute occasion, ils eussent été dix fois perdus pendant ces dix jours. Un jeune amant, dans la candeur du premier amour, se serait laissé aller à de ravissantes imprudences auxquelles il est si difficile de résister. Mais l’Italien résistait même à Juana boudeuse, à Juana folle, à Juana faisant de ses longs cheveux une chaîne qu’elle lui passait autour du cou pour le retenir. Cependant l’homme le plus perspicace eût été fort embarrassé de deviner les secrets de leurs rendez-vous nocturnes. Il est à croire que, sûr du succès, l’Italien se donna les plaisirs ineffables d’une séduction allant à petits pas, d’un incendie qui gagne graduellement et finit par tout embraser. Le onzième jour, en dînant, il jugea nécessaire de confier, sous le sceau du secret, au vieux Perez, que la cause de sa disgrâce dans sa famille était un mariage disproportionné. Cette fausse confidence était quelque chose d’horrible au milieu du drame nocturne qui se jouait dans cette maison. Montefiore, en joueur expérimenté, se préparait un dénoûment dont il jouissait d’avance en artiste qui aime son art. Il comptait bientôt quitter sans regret la maison et son amour. Or, quand Juana, risquant sa vie peut-être dans une question, demanderait à Perez où était son hôte, après l’avoir longtemps attendu, Perez lui dirait sans connaître l’importance de sa réponse : — Le marquis de Montefiore s’est réconcilié avec sa famille, qui consent à recevoir sa femme, et il est allé la présenter.

Alors Juana !… L’Italien ne s’était jamais demandé ce que deviendrait Juana ; mais il en avait étudié la noblesse, la candeur, toutes les vertus, et il était sûr du silence de Juana.

Il obtint une mission de je ne sais quel général. Trois jours après, pendant la nuit, la nuit qui précédait son départ, Montefiore voulant sans doute, comme un tigre, ne rien laisser de sa proie, au lieu de remonter chez lui, entra dès l’après-dîner chez Juana pour se faire une plus longue nuit d’adieux. Juana, véritable Espagnole, véritable Italienne, ayant double passion, fut bien heureuse de cette hardiesse, elle accusait tant d’ardeur ! Trouver dans l’amour pur du mariage les cruelles félicités d’un engagement illicite, cacher son époux dans les rideaux de son lit ; tromper à demi son père et sa mère adoptive, et pouvoir leur dire, en cas de surprise : — Je suis la marquise de Montefiore ! Pour une jeune fille romanesque, et qui, depuis trois ans, ne rêvait pas l’amour sans en rêver tous