Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Je ne sais pas, dit-il à la Marana, où nous avons mis cette clef.

— Vous êtes bien pâle, lui dit-elle.

— Je vais vous dire pourquoi, répondit-il en sautant sur son poignard, qu’il saisit, et dont il frappa violemment la porte de Juana en criant : — Juana, ouvrez ! ouvrez !

Son accent exprimait un épouvantable désespoir qui glaça les deux femmes.

Et Juana n’ouvrit pas, parce qu’il lui fallut quelque temps pour cacher Montefiore. Elle ne savait rien de ce qui se passait dans la salle. Les doubles portières de tapisserie étouffaient les paroles.

— Madame, je vous mens en disant que je ne sais pas où est la clef. La voici, reprit-il en la tirant du buffet. Mais elle est inutile. Celle de Juana est dans la serrure, et sa porte est barricadée. Nous sommes trompés, ma femme ! dit-il en se tournant vers elle. Il y a un homme chez Juana.

— Par mon salut éternel, la chose est impossible, lui dit sa femme.

— Ne jurez pas, dona Lagounia. Notre honneur est mort, et cette femme… il montra la Marana qui s’était levée et restait immobile, foudroyée par ces paroles ; cette femme a le droit de nous mépriser. Elle nous a sauvé vie, fortune, honneur, et nous n’avons su que lui garder ses écus.

— Juana, ouvrez, cria-t-il, ou je brise votre porte.

Et sa voix, croissant en violence, alla retentir jusque dans les greniers de la maison. Mais il était froid et calme. Il tenait en ses mains la vie de Montefiore, et allait laver ses remords avec tout le sang de l’Italien.

— Sortez, sortez, sortez, sortez tous ! cria la Marana en sautant avec l’agilité d’une tigresse sur le poignard qu’elle arracha des mains de Perez étonné.

— Sortez, Perez, reprit-elle avec tranquillité, sortez, vous, votre femme, votre servante et votre apprenti. Il va y avoir un meurtre ici. Vous pourriez être fusillés tous par les Français. N’y soyez pour rien, cela me regarde seule. Entre ma fille et moi, il ne doit y avoir que Dieu. Quant à l’homme, il m’appartient. La terre entière ne l’arracherait pas de mes mains. Allez, allez donc, je vous pardonne. Je le vois, cette fille est une Marana. Vous, votre religion, votre honneur, étiez trop faibles pour lutter contre mon sang.