Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/26

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A ces paroles, toute la vie d’Emilio se retira dans son cœur. -- Qu’ai-je fait pour l’amener à cette parole ? pensa-t-il.

— Emilio, quelle lettre as-tu donc jetée dans la lagune.

— Celle de Vendramini que je n’ai pas achevée, sans quoi je ne me serais pas rencontré dans mon palais avec le duc de qui, sans doute, il me disait l’histoire.

Massimilla pâlit, mais un geste d’Emilio la rassura.

— Reste avec moi toute la journée, nous irons au théâtre ensemble, ne partons pas pour le Frioul, ta présence m’aidera sans doute à supporter celle de Cataneo, reprit-elle.

Quoique ce dût être une continuelle torture d’âme pour l’amant, il consentit avec une joie apparente. Si quelque chose peut donner une idée de ce que ressentiront les damnés en se voyant si indignes de Dieu, n’est-ce pas l’état d’un jeune homme encore pur devant une révérée maîtresse quand il se sent sur les lèvres le goût d’une infidélité, quand il apporte dans le sanctuaire de la divinité chérie l’atmosphère empestée d’une courtisane ? Baader, qui expliquait dans ses leçons les choses célestes par des comparaisons érotiques, avait sans doute remarqué, comme les écrivains catholiques, la grande ressemblance qui existe entre l’amour humain et l’amour du ciel. Ces souffrances répandirent une teinte de mélancolie sur les plaisirs que goûta le Vénitien auprès de sa maîtresse. L’âme d’une femme a d’incroyables aptitudes pour s’harmonier aux sentiments ; elle se colore de la couleur, elle vibre de la note qu’apporte un amant ; la duchesse devint donc songeuse. Les saveurs irritantes qu’allume le sel de la coquetterie sont loin d’activer l’amour autant que cette douce conformité d’émotions. Les efforts de la coquetterie indiquent trop une séparation, et quoique momentanée, elle déplaît ; tandis que ce partage sympathique annonce la constante fusion des âmes. Aussi le pauvre Emilio fut-il attendri par la silencieuse divination qui faisait pleurer la duchesse sur une faute inconnue. Se sentant plus forte en se voyant inattaquée du côté sensuel de l’amour, la duchesse pouvait être caressante ; elle déployait avec hardiesse et confiance son âme angélique, elle la mettait à nu, comme pendant cette nuit diabolique la véhémente Tinti avait montré son corps aux moelleux contours, à la chair souple et drue. Aux yeux d’Emilio, il y avait comme une joute entre l’amour saint de cette âme blanche, et l’amour de la nerveuse et colère Sicilienne. Cette journée fut donc employée en