Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bourg et celle de Montmartre, tout ce qui s’habille et babille, s’habille pour sortir et sort pour babiller, tout ce monde de petits et de grands airs, ce monde vêtu d’impertinence et doublé d’humbles désirs, d’envie et de courtisanerie, tout ce qui est doré et dédoré, jeune et vieux, noble d’hier ou noble du quatrième siècle, tout ce qui se moque d’un parvenu, tout ce qui a peur de se compromettre, tout ce qui veut démolir un pouvoir, sauf à l’adorer s’il résiste ; toutes ces oreilles entendent, toutes ces langues disent et toutes ces intelligences savent, en une seule soirée, où est né, où a grandi, ce qu’a fait ou n’a pas fait le nouveau venu qui prétend à des honneurs dans ce monde. S’il n’existe pas de Cour d’assises pour la haute société, elle rencontre le plus cruel de tous les procureurs généraux, un être moral, insaisissable, à la fois juge et bourreau : il accuse et il marque. N’espérez lui rien cacher, dites-lui tout vous-même, il veut tout savoir et sait tout. Ne demandez pas où est le télégraphe inconnu qui lui transmet à la même heure, en un clin d’œil, en tous lieux, une histoire, un scandale, une nouvelle ; ne demandez pas qui le remue. Ce télégraphe est un mystère social, un observateur ne peut qu’en constater les effets. Il y en a d’incroyables d’exemples, un seul suffit. L’assassinat du duc de Berry, frappé à l’Opéra, fut conté, dans la dixième minute qui suivit le crime, au fond de l’île Saint-Louis. L’opinion émanée du 6e de ligne sur Diard filtra dans le monde le soir même où il donna son premier bal.

Diard ne pouvait donc plus rien sur le monde. Dès lors, sa femme seule avait la puissance de faire quelque chose de lui. Miracle de cette singulière civilisation ! À Paris, si un homme ne sait rien être par lui-même, sa femme, lorsqu’elle est jeune et spirituelle, lui offre encore des chances pour son élévation. Parmi les femmes, il s’en est rencontré de malades, de faibles en apparence, qui, sans se lever de leur divan, sans sortir de leur chambre, ont dominé la société, remué mille ressorts, et placé leurs maris, là ou elles voulaient être vaniteusement placées. Mais Juana, dont l’enfance s’était naïvement écoulée dans sa cellule de Tarragone, ne connaissait aucun des vices, aucune des lâchetés ni aucune des ressources du monde parisien ; elle le regardait en jeune fille curieuse, elle n’en apprenait que ce que sa douleur et sa fierté blessée lui en révélaient. D’ailleurs, Juana avait le tact d’un cœur vierge qui recevait les impressions par