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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/272

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fait le tour du salon, quand il eut achevé de se ruiner, je vous dois cent mille francs ; mais mon argent est à Bordeaux, où j’ai laissé ma femme.

Diard avait bien les cent billets de banque dans sa poche ; mais avec l’aplomb et le coup d’œil rapide d’un homme accoutumé à faire ressource de tout, il espérait encore dans les indéfinissables caprices du jeu. Montefiore avait manifesté l’intention de voir Bordeaux. En s’acquittant, Diard n’avait plus d’argent, et ne pouvait plus prendre sa revanche. Une revanche comble quelquefois toutes les pertes précédentes. Néanmoins, ces brûlantes espérances dépendaient de la réponse du marquis.

— Attends, mon cher, dit Montefiore, nous irons ensemble à Bordeaux. En conscience, je suis assez riche aujourd’hui pour ne pas vouloir prendre l’argent d’un ancien camarade.

Trois jours après, Diard et l’Italien étaient à Bordeaux. L’un offrit revanche à l’autre. Or, pendant une soirée, où Diard commença par payer ses cent mille francs, il en perdit deux cent mille autres sur sa parole. Le Provençal était gai comme un homme habitué à prendre des bains d’or. Onze heures venaient de sonner, le ciel était superbe, Montefiore devait éprouver autant que Diard le besoin de respirer sous le ciel et de faire une promenade pour se remettre de leurs émotions, celui-ci lui proposa donc de venir prendre son argent et une tasse de thé chez lui.

— Mais madame Diard, dit Montefiore.

— Bah ! fit le Provençal.

Ils descendirent ; mais avant de prendre son chapeau, Diard entra dans la salle à manger de la maison où il était, et demanda un verre d’eau ; pendant qu’on le lui apprêtait, il se promena de long en large, et put, sans être aperçu, saisir un de ces couteaux d’acier très-petits, pointus et à manche de nacre, qui servent à couper les fruits au dessert, et qui n’avaient pas encore été rangés.

— Où demeures-tu ? lui demanda Montefiore dans la cour. Il faut que j’envoie ma voiture à ta porte.

Diard indiqua parfaitement bien sa maison.

— Tu comprends, lui dit Montefiore à voix basse en lui prenant le bras, que tant que je serai avec toi je n’aurai rien à craindre ; mais si je revenais seul, et qu’un vaurien me suivît, je serais très-bon à tuer.

— Qu’as-tu donc sur toi ?