Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/286

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pas devoir résister à un assaillant. Chargées des touffes luisantes du gui, les branches des arbres fruitiers négligés s’étendaient au loin sans donner de récolte. De hautes herbes croissaient dans les allées. Ces débris jetaient dans le tableau des effets d’une poésie ravissante, et des idées rêveuses dans l’âme du spectateur. Un poète serait resté là plongé dans une longue mélancolie, en admirant ce désordre plein d’harmonies, cette destruction qui n’était pas sans grâce. En ce moment, quelques rayons de soleil se firent jour à travers les crevasses des nuages, illuminèrent par des jets de mille couleurs cette scène à demi sauvage. Les tuiles brunes resplendirent, les mousses brillèrent, des ombres fantastiques s’agitèrent sur les prés, sous les arbres ; des couleurs mortes se réveillèrent, des oppositions piquantes se combattirent, les feuillages se découpèrent dans la clarté. Tout à coup, la lumière disparut. Ce paysage qui semblait avoir parlé, se tut, et redevint sombre, ou plutôt doux comme la plus douce teinte d’un crépuscule d’automne.

— C’est le palais de la Belle au Bois Dormant, se dit le conseiller qui ne voyait déjà plus cette maison qu’avec les yeux d’un propriétaire. À qui cela peut-il donc appartenir ? Il faut être bien bête pour ne pas habiter une si jolie propriété.

Aussitôt, une femme s’élança de dessous un noyer planté à droite de la grille, et sans faire de bruit passa devant le conseiller aussi rapidement que l’ombre d’un nuage ; cette vision le rendit muet de surprise.

— Eh ! bien, d’Albon, qu’avez-vous ? lui demanda le colonel.

— Je me frotte les yeux pour savoir si je dors ou si je veille, répondit le magistrat en se collant sur la grille pour tâcher de revoir le fantôme.

— Elle est probablement sous ce figuier, dit-il en montrant à Philippe le feuillage d’un arbre qui s’élevait au-dessus du mur, à gauche de la grille.

— Qui, elle ?

— Eh ! puis-je le savoir ? reprit monsieur d’Albon. Il vient de se lever là, devant moi, dit-il à voix basse, une femme étrange ; elle m’a semblé plutôt appartenir à la nature des ombres qu’au monde des vivants. Elle est si svelte, si légère, si vaporeuse, qu’elle doit être diaphane. Sa figure est aussi blanche que du lait. Ses vêtements, ses yeux, ses cheveux sont noirs. Elle m’a regardé en passant, et quoi