Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/33

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moquerie frappait sur les sentiments moquables, où le sel attique accommodait les riens. Partout ailleurs, la Cataneo eût peut-être été fatigante ; les Italiens, gens éminemment intelligents, aiment peu à tendre leur intelligence hors de propos ; chez eux, la causerie est tout unie et sans efforts ; elle ne comporte jamais, comme en France, un assaut de maîtres d’armes où chacun fait briller son fleuret, et où celui qui n’a rien pu dire est humilié. Si chez eux la conversation brille, c’est par une satire molle et voluptueuse qui se joue avec grâce de faits bien connus, et au lieu d’une épigramme qui peut compromettre, les Italiens se jettent un regard ou un sourire d’une indicible expression. Avoir à comprendre des idées là où ils viennent chercher des jouissances, est selon eux, et avec raison, un ennui. Aussi la Vulpato disait-elle à la Cataneo : -- « Si tu l’aimais, tu ne causerais pas si bien. » Emilio ne se mêlait jamais à la conversation, il écoutait et regardait. Cette réserve aurait fait croire à beaucoup d’étrangers que le prince était un homme nul, comme ils l’imaginent des Italiens épris, tandis que c’était tout simplement un amant enfoncé dans sa jouissance jusqu’au cou. Vendramin s’assit à côté du prince, en face du Français, qui, en sa qualité d’étranger, garda sa place au coin opposé à celui qu’occupait la duchesse.

— Ce monsieur est ivre ? dit le médecin à voix basse à l’oreille de la Massimilla en examinant Vendramin.

— Oui, répondit simplement la Cataneo.

Dans ce pays de la passion, toute passion porte son excuse avec elle, et il existe une adorable indulgence pour tous les écarts. La duchesse soupira profondément et laissa paraître sur son visage une expression de douleur contrainte.

— Dans notre pays, il se voit d’étranges choses, monsieur ! Vendramin vit d’opium, celui-ci vit d’amour, celui-là s’enfonce dans la science, la plupart des jeunes gens riches s’amourachent d’une danseuse, les gens sages thésaurisent ; nous nous faisons tous un bonheur ou une ivresse.

— Parce que vous voulez tous vous distraire d’une idée fixe qu’une révolution guérirait radicalement, reprit le médecin. Le Génois regrette sa république, le Milanais veut son indépendance, le Piémontais souhaite le gouvernement constitutionnel, le Romagnol désire la liberté…

— Qu’il ne comprend pas, dit la duchesse. Hélas ! il est des pays