Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/355

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enfants : nous n’eussions pas fait douze pas si nous nous étions donné le bras. Le chemin qui mène au bourg de Batz n’était pas tracé ; il suffisait d’un coup de vent pour effacer les marques que laissaient les pieds de chevaux ou les jantes de charrette ; mais l’œil exercé de notre guide reconnaissait à quelques fientes de bestiaux, à quelques parcelles de crottin, ce chemin qui tantôt descendait vers la mer, tantôt remontait vers les terres au gré des pentes, ou pour tourner des roches. A midi nous n’étions qu’à mi-chemin.

— Nous nous reposerons là-bas, dis-je en montrant un promontoire composé de rochers assez élevés pour faire supposer que nous y trouverions une grotte.

En m’entendant, le pêcheur, qui avait suivi la direction de mon doigt, hocha la tête, et me dit : — Il y a là quelqu’un. Ceux qui viennent du bourg de Batz au Croisic, ou du Croisic au bourg de Batz, font tous un détour pour n’y point passer.

Les paroles de cet homme furent dites à voix basse, et supposaient un mystère.

— Est-ce donc un voleur, un assassin ?

Notre guide ne nous répondit que par une aspiration creusée qui redoubla notre curiosité.

— Mais, si nous y passons, nous arrivera-t-il quelque malheur ?

— Oh ! non.

— Y passerez-vous avec nous ?

— Non, monsieur.

— Nous irons donc, si vous nous assurez qu’il n’y a nul danger pour nous.

— Je ne dis pas cela, répondit vivement le pêcheur. Je dis seulement que celui qui s’y trouve ne vous dira rien et ne vous fera aucun mal. Oh ! mon Dieu, il ne bougera seulement pas de sa place.

— Qui est-ce donc ?

— Un homme !

Jamais deux syllabes ne furent prononcées d’une façon si tragique. En ce moment nous étions à une vingtaine de pas de ce rescif dans lequel se jouait la mer ; notre guide prit le chemin qui entourait les rochers ; nous continuâmes droit devant nous ; mais Pauline me prit le bras. Notre guide hâta le pas, afin de se trouver en même temps que nous à l’endroit où les deux chemins se rejoignaient.