Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/38

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rien à s’envier ; tandis que vos républiques étaient des souveraines orgueilleuses qui se sont vendues pour ne pas saluer leurs voisines ; elles sont tombées trop bas pour jamais se relever. Les Guelfes triomphent !

— Ne nous plaignez pas trop, dit la duchesse d’une voix orgueilleuse qui fit palpiter les deux amis, nous vous dominons toujours ! Du fond de sa misère, l’Italie règne par les hommes d’élite qui fourmillent dans ses cités. Malheureusement, la partie la plus considérable de nos génies arrive si rapidement à comprendre la vie, qu’ils s’ensevelissent dans une paisible jouissance ; quant à ceux qui veulent jouer au triste jeu de l’immortalité, ils savent bien saisir votre or et mériter votre admiration. Oui, dans ce pays, dont l’abaissement est déploré par de niais voyageurs et par des poètes hypocrites, dont le caractère est calomnié par les politiques, dans ce pays qui paraît énervé, sans puissance, en ruines, vieilli plutôt que vieux, il se trouve en toute chose de puissants génies qui poussent de vigoureux rameaux, comme sur un ancien plant de vigne s’élancent des jets où viennent de délicieuses grappes. Ce peuple d’anciens souverains donne encore des rois qui s’appellent Lagrange, Volta, Rasori, Canova, Rossini, Bartolini, Galvani, Vigano, Beccaria, Cicognara, Corvetto. Ces Italiens dominent le point de la science humaine sur lequel ils se fixent, ou régentent l’art auquel ils s’adonnent. Sans parler des chanteurs, des cantatrices, et des exécutants qui imposent l’Europe par une perfection inouïe, comme Taglioni, Paganini, etc., l’Italie règne encore sur le monde, qui viendra toujours l’adorer. Allez ce soir à Florian, vous trouverez dans Capraja l’un de nos hommes d’élite, mais amoureux de l’obscurité ; nul, excepté le duc Cataneo, mon maître, ne comprend mieux que lui la musique ; aussi l’a-t-on nommé ici il fanatico !

Après quelques instants, pendant lesquels la conversation s’anima entre le Français et la duchesse, qui se montra finement éloquente, les Italiens se retirèrent un à un pour aller dire dans toutes les loges que la Cataneo, qui passait pour être una donna di gran spirito, avait battu, sur la question de l’Italie, un habile médecin français. Ce fut la nouvelle de la soirée. Quand le Français se vit seul entre le prince et la duchesse, il comprit qu’il fallait les laisser seuls, et sortit. Massimilla salua le médecin par une inclination de tête qui le mettait si loin d’elle, que ce geste aurait pu lui attirer la haine de cet homme, s’il eût pu méconnaître le charme