Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/385

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telligible par lequel un ami léguait sa vie perdue à son dernier ami. La nuit avait sans doute été bien dure, bien solitaire pour lui ; mais aussi peut-être la pâleur empreinte sur son visage accusait-elle un stoïcisme puisé dans une nouvelle estime de lui-même. Peut-être s’était-il purifié par un remords, et croyait-il laver sa faute dans sa douleur et dans sa honte. Il marchait d’un pas ferme et, dès le matin, il avait fait disparaître les taches de sang dont il s’était involontairement souillé. — Mes mains y ont fatalement trempé pendant que je dormais, car mon sommeil est toujours très-agité, m’avait-il dit la veille, avec un horrible accent de désespoir. J’appris qu’il allait comparaître devant un conseil de guerre. La division devait, le surlendemain, se porter en avant, et le chef de demi-brigade ne voulait pas quitter Andernach sans faire justice du crime sur les lieux mêmes où il avait été commis… Je restai dans une mortelle angoisse pendant le temps que dura ce conseil. Enfin, vers midi, Prosper Magnan fut ramené en prison. Je faisais en ce moment ma promenade accoutumée ; il m’aperçut, et vint se jeter dans mes bras — Perdu, me dit-il. Je suis perdu sans espoir ! Ici, pour tout le monde, je serai donc un assassin. Il releva la tête avec fierté. — Cette injustice m’a rendu tout entier à mon innocence. Ma vie aurait toujours été troublée, ma mort sera sans reproche. Mais, y a-t-il un avenir ? Tout le dix-huitième siècle était dans cette interrogation soudaine. Il resta pensif. — Enfin, lui dis-je, comment avez-vous répondu ? que vous a-t-on demandé ? n’avez-vous pas dit naïvement le fait comme vous me l’avez raconté ! Il me regarda fixement pendant un moment ; puis, après cette pause effrayante, il me répondit avec une fiévreuse vivacité de paroles : — Ils m’ont demandé d’abord : « Êtes-vous sorti de l’auberge pendant la nuit ? » J’ai dit : — Oui. — « Par où ? » J’ai rougi, et j’ai répondu : — Par la fenêtre. — « Vous l’aviez donc ouverte ? » — Oui ! ai-je dit. « Vous y avez mis bien de la précaution. L’aubergiste n’a rien entendu ! » Je suis resté stupéfait. Les mariniers ont déclaré m’avoir vu me promenant, allant tantôt à Andernach, tantôt vers la forêt. — J’ai fait, disent-ils, plusieurs voyages. J’ai enterré l’or et les diamants. Enfin, la valise ne s’est pas retrouvée ! Puis j’étais toujours en guerre avec mes remords. Quand je voulais parler : « Tu as voulu commettre le crime ! » me criait une voix impitoyable. Tout était contre moi, même moi !… Ils m’ont questionné sur mon camarade, et je l’ai complétement défendu.